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lisme, le phénoménisme, le pessimisme résigné de l’autre. Entre les deux le Bodhisattva a déjà choisi : c’est dans celui de l’Est qu’il va puiser la plupart des éléments qui entreront dans la composition de son système mi-philosophique et mi-religieux ; car, pour grand et original que puisse être un homme, il commence par appartenir à son milieu et à son temps.

Nous arrivons ainsi à la conclusion que c’est avant tout la voix confuse de l’Inde orientale non aryenne que le futur Bouddha va écouter avant de nous la faire à son tour entendre, distinctement énoncée et transposée en méthode de salut. Mais, pour ne pas prendre en traître le lecteur non spécialiste, nous devons l’avertir que cette façon de concevoir les origines bouddhiques n’est pas celle qui était admise jusqu’à présent. La thèse orthodoxe voulait que le bouddhisme sortit tout entier de la tradition brahmanique du Nord-Ouest, légèrement modifiée par les tendances qui apparaissent sporadiquement dans les Oupanishads. Et il fallait bien qu’il en fût ainsi ; car le temps n’est pas loin où, toujours dociles aux directives données par les brahmanes de Calcutta aux premiers indianistes européens, leurs successeurs croyaient devoir prendre à tâche de faire sortir l’Inde tout entière, avec ses sociétés et ses religions si nombreuses et si diverses, du seul et unique Véda, ainsi que le chêne avec toute sa ramure sort d’un gland. La pioche des fouilleurs de Mohen-djo-Daro[1] vient de jeter bas cette séduisante théorie en démontrant que le bassin de l’Indus possédait une civilisation urbaine pleinement développée longtemps avant l’invasion des Barbares indo-européens ; et, selon toute vraisemblance, il en était de même du bassin encore plus riche et plus peuplé du Gange, bien qu’ici les conditions climatiques et géologiques soient telles qu’elles ne laissent guère d’espoir d’en retrouver jamais des vestiges. Impossible désormais de négliger le fait primordial que la grande péninsule, telle que les invasions successives l’ont faite, comprenait de bonne heure plusieurs Indes, fort différentes l’une de l’autre. On n’avait que trop oublié que ses habitants eux-mêmes en distinguaient cinq, bien avant que la conquête musulmane fût venue compliquer encore la situation. Que le pays brahmanique par excellence, le soi-disant « pays du Milieu » entre la Djamna et le Gange ait fourni un uniforme levain à toutes ces pâtes variées, autrement dit que l’Inde, même non aryanisée, même dravidianisée, ait fini par être dans son ensemble brahmanisée, l’évidence s’en maintient jusqu’à nos jours. Mais quant à tirer le bouddhisme du brahmanisme alors que (des siècles de controverses acharnées l’attestent) ils sont aux antipodes l’un de l’autre, c’est là un petit jeu d’érudition auquel, puisqu’on n’y est plus condamné d’avance, il n’est pas davantage permis de se livrer.

Ceci dit, il appartient au philologue de se garder de verser dans un excès inverse. Le fait qu’il existe autant d’écart entre les deux grandes religions de l’Inde ancienne qu’entre le paganisme

  1. Se reporter aux trois beaux vol. de Sir John Marshall, Mohenjo-Daro and the Indus Civilization (Londres, 1931).