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l’apparence d’un être humain et retournait vivant à la terre : « Et les garçons et les filles du village, et les bouviers et les bergers, et les ramasseurs d’herbe, de bois ou de bouse, tous le prenaient pour un démon-de-poussière, et ils se jouaient de lui, et ils le couvraient de poussière ». Cette fois on peut dire qu’il a atteint le fond des mortifications imaginables, et son apologiste renonce à lui inventer de nouveaux tourments. On peut aussi se demander comment il sortira jamais d’un tel abîme de misère physiologique : rassurez-vous, cela va être pour lui l’affaire d’un seul plat de riz au lait que Soudjâtâ, la fille d’un des notables du village, a depuis longtemps fait vœu de lui offrir, sitôt le moment venu.

Le dernier repas avant la bodhi. — Il était grand temps que le Bodhisattva s’arrêtât dans la voie funeste où il s’était lancé par amour de l’humanité. Sur mille parcelles de vie il ne lui en restait plus qu’une quand enfin il se décida à déclarer l’expérience concluante et à proclamer une fois pour toutes que « ce n’est pas là un chemin qui conduise à l’Illumination en vue de mettre un terme à la naissance, à la vieillesse et à la mort ». Il lui faut donc en prendre un autre, mais lequel ? Il se souvient alors de sa Première méditation dans les domaines de son père, et il lui apparaît clairement que c’est dans l’usage rationnel de la réflexion et dans la contention purement mentale que gît son dernier espoir de découvrir le secret du salut. Mais dans l’épuisement où l’ont jeté ses mortifications, avec son corps débilité et sa pensée trop longtemps mise en veilleuse, comment serait-il capable d’appliquer son esprit avec assez de vigueur à la solution du problème de la destinée ? Son organisme tout entier est à restaurer, physique et moral ; et à son état il n’y a d’autre remède que de rompre son jeûne et de se remettre à manger. C’est à ce moment que certains dieux, devinant son intention (aurait-on pu croire que les dieux ne fussent pas tous ennemis de la fraude ?), interviennent pour lui proposer de lui insuffler secrètement des forces par les « puits de ses poils », entendez : par ses pores. Le Bodhisattva refuse avec indignation de se prêter à cette supercherie. Il s’est donné pour un total abstinent et les paysans des alentours le connaissent comme tel : il leur mentirait gravement s’il feignait de le demeurer alors qu’il recevrait par des moyens surnaturels une alimentation clandestine. Ce qu’il veut faire pour se réconforter, puisque la chose est nécessaire, c’est prendre au vu et au su de tous quelque honnête nourriture, « bouillie, soupe aux pois ou aux haricots, ou gruau de riz ». Un premier résultat de cette déclaration ne se fait pas attendre, tant les hommes sont toujours et partout pareils : « Jean le Baptiste vint, ne mangeant pas de pain et ne buvant pas de vin, et vous dites : C’est un inspiré. Le Fils de l’homme est venu, mangeant et buvant ; et vous dites : Voyez ce mangeur et ce buveur, ami des publicains et des pécheurs », ainsi lisez-vous en grec[1] ; et voici ce qui est écrit en sanskrit : « Et alors les Cinq de la bande fortunée pensèrent : En dépit de

  1. Luc VII 33-4.