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croyables privations sur l’aspect de sa personne physique : artistes et écrivains se sont chargés de nous le montrer et de nous le décrire : le seul point embarrassant serait de décider si telle statue a été faite d’après une description littéraire ou si au contraire le Lalita-vistara, par exemple, s’en inspire quand il compare les membres du Gaoutama pénitent à des rotins noueux, son épine dorsale (que l’on pouvait saisir par devant à travers la peau de son ventre cave) aux entrelacs rugueux d’une tresse, son thorax saillant à la carapace côtelée d’un crabe, sa tête émaciée à une gourde coupée trop verte et fanée, ses yeux creux à des étoiles réfléchies au fond d’un puits presque tari. Toutefois quand le Bouddha-tcharita nous assure que, bien qu’il n’eût plus que « la peau sur les os », il restait néanmoins un charme pour les yeux — tel le premier croissant de la lune d’octobre fait, si mince qu’il soit, les délices des lotus — il paraît difficile de ne pas croire qu’en écrivant cette stance Açvaghosha avait présente à l’esprit, sinon devant ses yeux, quelque belle image peinte ou sculptée de l’ascète Gaoutama au temps de sa grande pénitence[1].

Cette seconde série de macérations vaut bien un entr’acte. Cette fois c’est le père du Bodhisattva qui s’inquiète de savoir si, malgré tout, son fils est encore en vie. Le Lalita-vistara se borne à nous dire que Çouddhodana envoyait tous les jours un messager prendre des nouvelles du cher absent. Le Mahâvastou ajoute qu’il refusa toujours avec grand-raison d’accorder la moindre créance aux pessimistes rapports de ces agents lui annonçant le trépas de son fils[2]. Ce dernier doit encore remplir le dernier article du programme que lescroyances populaires, autant que les implacables exigences de ses propres propagandistes, ne pouvaient manquer de lui assigner. Le vieux folklore indien est, comme on sait, plein des fabuleux exploits de ces rishis qui, plongés dans leurs méditations extatiques, demeuraient si longtemps et si parfaitement immobiles que les fourmis blanches, les prenant pour quelque tronc d’arbre desséché, les ensevelissaient à demi sous l’amas terreux de leurs termitières. Force est au Bodhisattva de faire autant et mieux encore que ces glorieux ancêtres. Condamné à une immobilité absolue, il ne bougeait ni pour passer du soleil à l’ombre ou de l’ombre au soleil, ni pour se protéger du vent et de la pluie ; et il ne remuait même pas un doigt pour se défendre contre les taons, les moustiques et les diverses sortes de reptiles. Et peut-être, ô lecteur, pensez-vous qu’au bout de peu de jours la place devait devenir intenable, sauf peut-être pour un stylite qui, juché sur sa colonne, domine d’assez haut la situation ? Vous auriez tort de penser ainsi : sachez que pendant toutes ces années aucun déchet fonctionnel, aucune excrétion naturelle quelconque, liquide ni solide, ne s’évacua d’aucune des ouvertures du corps du Prédestiné. Son ancien lustre terni par les intempéries, ses sens obscurcis ne percevant plus les objets, muet, aveugle et sourd, il achevait de perdre

  1. LV p. 254 ; BC XII 98 ; les plus beaux clairs de lune de l’Inde sont ceux du mois de kârttika (oct.-nov.), quand le ciel vient d’être lavé de ses poussières par les pluies (cf. supra p. 207). V. AgbG fig. 193, 439 et 440.
  2. MVU II p. 207 s.