Page:Foucher - La Vie du Bouddha, 1949.djvu/164

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qui pèchent en parole et en pensée, qui médisent des gens de bien, qui professent de fausses doctrines ; du fait de leur attachement à la pratique de la loi des fausses doctrines, après la dissolution du corps ils tombent dans une condition mauvaise et renaissent dans les enfers. Voyez au contraire ceux qui se conduisent bien en action, qui se conduisent bien en parole et en pensée, qui ne médisent pas des gens de bien, qui professent la vraie doctrine ; du fait de leur attachement à la pratique de la loi de la vraie doctrine, après la dissolution du corps ils renaissent dans les mondes du ciel. C’est ainsi qu’avec son œil divin, purifié, surhumain, le Bodhisattva vit les êtres disparaissant, chutant et se reproduisant, de bonne ou de mauvaise caste, de bon ou de mauvais sort, rétrogradés ou promus, le tout suivant leur karma : telle fut la connaissance qui se présenta à lui au cours de la première veille de la nuit ; et il détruisit les ténèbres, et il lui vint une intuition…

C’est donc une vue générale de l’univers entier en son état présent que commence par prendre le Bodhisattva ; et, certes, quand il était en train il dut y voir bien plus de choses que n’en a retenues son monastique interprète, trop uniquement préoccupé de damner les hérétiques et de béatifier les vrais croyants — trop persuadé aussi, à notre gré, de l’impeccable régularité du jeu du karma. Du moins souligne-t-il de son mieux avec quelle perspicacité et quelle hauteur de vue le Bodhisattva contemple la révolution perpétuelle de la grande roue des existences[1] — laquelle lui apparaît pareille à celle de ces machines hydrauliques que l’on appelle des norias et dont les godets (remplacés dans l’Inde par des chapelets de cruches) plongent, se remplissent d’eau, remontent, puis, redescendant, se vident pour s’emplir à nouveau et recommencer sans fin le même mouvement circulaire. Le contemplateur attristé de l’incessante et vaine activité des abeilles dont il a été question tout à l’heure, bien qu’il profite de toute la marge de supériorité qui sépare la raison de l’instinct, ne saurait apporter à son examen plus de pénétration ni de sympathie ; mais songez que cette fois c’est un homme d’entre les hommes qui, s’élevant d’un puissant coup d’aile et planant au-dessus de l’humanité, considère en spectateur certes compatissant, mais aussi terriblement lucide, la futile agitation de la ruche ou (si vous préférez) de la fourmilière humaine. Ne craignons pas de nous tromper en pensant que lui non plus ne découvre au cycle des générations « qui naissent, croissent, tombent et repoussent[2] » ni commencement, ni fin, ni sens : la suite va nous confirmer dans cette opinion ; et si le texte ne le dit pas, c’est que cela va sans dire.

La deuxième veille. — Après avoir ainsi exploré l’espace, c’est le passé que va sonder le Bodhisattva pendant la seconde ou moyenne veille de la nuit. Devant son œil supra-humain se déroulent à présent les centaines de milliers de millions de ses existences antérieures — des siennes et de celles des autres. Avec une vitesse vertigineuse toutes repassent jusque dans leurs détails : « J’étais là, sous tel nom, de telle famille, de telle caste, de telle condition ; telle fut la longueur de ma vie, telles mes allées et

  1. La comparaison avec le ghaṭî-yantra ou noria est dans le DA p. 300 l. 17.
  2. La citation est de la Kaṭhopanishad I 6.