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venues, telle ma part de bonheur ou de malheur. Trépassé, voici où je renaquis… ; et ainsi de suite avec leur forme et leur nom et dans toute leur variété il se rappelait ses renaissances et celles de tous les êtres ». Ici encore on regrette que l’auteur du Lalita-vistara, si prolixe quand il s’agit de décrire le décor matériel de l’aire de la Bodhi[1], se montre si inférieur à sa tâche au moment d’exposer la préparation mentale du miracle. Sa croyance en la transmigratmn lui offrait une occasion admirable de suivre à travers les âges les phases de l’évolution d’un grand homme depuis sa sortie de l’animalité jusqu’à son élévation au rang de « premier des êtres » ; mais il ne faut pas lui en demander trop. Sachons-lui plutôt gré d’avoir su nous montrer le Bodhisattva explorant le passé après avoir considéré le présent, et résumant ainsi dans son esprit toute l’expérience du monde. Grâce au formidable et désolant savoir que vient ainsi de rafraîchir son don d’intuition surhumaine, le religieux Gaoutama est mûr pour aborder au cours de la troisième veille de la nuit[2], le problème capital à la solution duquel il a encore tout sacrifié en cette renaissance, celui de l’extinction de la douleur.

La troisième veille. — Admirons la méthode avec laquelle il procède. Né homme, c’est la souffrance humaine qu’il s’attache d’abord à guérir. Ne l’accusez pas d’égoïsme : tout comme la charité bien ordonnée de notre proverbe, la spéculation philosophique ne peut mieux commencer que par la connaissance de soi-même : depuis que Socrate l’a dit, tout l’Occident en est tombé d’accord. En second lieu, le Bodhisattva a appris à l’école du Sânkhya que rien n’arrive sans cause : le seul moyen de découvrir le remède au mal congénital dont souffre l’homme sera donc de démonter, rouage par rouage, le mécanisme de son destin. À la question ainsi nettement posée la réponse ne se fera plus attendre : la formule des douze Productions qui sont la condition réciproque l’une de l’autre[3] va nous la donner. Souffrez que nous numérotions dans leur séquence nécessaire ces douze « occasions » originelles et que nous les accompagnions d’un bref commentaire explicatif :

« 1o Et le Bodhisattva pensa : Quelle misère pour celui qui vient au monde que de naître, de vieillir, de mourir, de chuter, de renaître. Et le pis est qu’on n’aperçoit aucun recours contre tout ce grand agrégat de douleurs, vieillesse, maladie, mort et ce qui s’ensuit. Et dire qu’on ne connaît aucun moyen de mettre un terme à tout ce grand agrégat de douleurs !

Telle est la donnée initiale : c’est l’existence avouée et même proclamée de la Douleur, laquelle se résume finalement en deux mots « vieillesse et mort » et se représente sur le premier des douze compartiments qui partagent la jante de la grande Roue par un cadavre que l’on porte au bûcher ou qu’on abandonne aux bêtes et aux oiseaux de proie.

2o Et le Bodhisattva pensa : En présence de quoi y a-t-il vieillesse et mort ? À quelle occasion y a-t-il vieillesse et mort ?

  1. Le LV consacre tout son ch. xx au Bodhi-maṇḍa-vyûha.
  2. BC (chant XIV) compte quatre veilles et intervertit par rapport au LV l’emploi des deux premières.
  3. Pratîtya-samutpâda ne signifie rien de plus que « Production (ou Génération) en dépendance (connexion ou relation) mutuelle ». De même le sens propre de nidâna est « occasion », c’est-à-dire l’ensemble de circonstances qui président à l’origine d’un fait quelconque, tel par ex. qu’un sermon du Bouddha. Dans les textes médicaux, nous fait remarquer le Dr J. Filliozat, le nidâna « n’est pas la cause réelle de la maladie, laquelle nous échappe ; c’est l’occasion en laquelle elle se produit, occasion que toute la médecine tend à empêcher de se produire » (Cf. supra, p. 221). Enfin pratyaya signifie simplement « support » ou « moyen ». L’idée de causalité est latente dans ces expressions, mais nulle part clairement exprimée.