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Au milieu de la monotonie de tous ces pas perdus ou de ces inertes litanies, un épisode se détache avec un relief surprenant[1]. Cette semaine-là il fit hors de saison un temps pluvieux et froid. Il arrive en effet, constatent les météorologistes, que des perturbations atmosphériques provenant de l’Atlantique prolongent leur action jusqu’en Hindoustan ; elles seraient à l’origine de ces pluies exceptionnelles d’hiver ou de printemps dont bénéficie parfois la plaine gangétique en dehors des mois réguliers de la mousson (mi-juin à mi-septembre). Un des rois des génies-serpents, nommé Moutchilinda, vit son opportunité et se montra égal à l’occasion. Sortant de sa demeure souterraine il enveloppa sept fois de ses anneaux le corps du Bienheureux et recourba en manière d’auvent au-dessus de sa tête le large dais de son chaperon de cobra polycéphale ; et, tandis qu’il abritait ainsi parfaitement le Bouddha contre la pluie et le froid, lui-même sentait se répandre dans tous ses replis une impression de bien-être jusqu’alors inconnue. Puis, quand la semaine fut écoulée et que le beau temps reparut, le Nâga-râdja dénoua ses anneaux d’autour du Maître. Reprenant la forme humaine, il se prosterna à ses pieds, et, après avoir fait respectueusement par trois fois le tour de sa personne sacrée, il se retira dans sa demeure… Vous chercherez en vain dans un texte ou sur un bas-relief méditerranéen une représentation analogue à celle du Sauveur du monde enlacé par un serpent et continuant au milieu de l’orage à goûter dans ses replis, aussi tranquillement que dans une chambre bien close, la béatitude de la paix. Aucune image n’est pour nous plus étrange parce qu’il n’en est aucune qui soit plus indienne. Chose curieuse à noter, ce n’est pourtant pas dans l’Inde que cette originale conception a connu le plus grand succès. Assurément elle apparaît sporadiquement sur les sculptures d’Amarâvati ; mais c’est en Indochine qu’elle a fait la meilleure fortune[2].

Un autre trait de concordance entre nos sources ne laisse pas de surprendre : toutes se croient obligées d’intercaler, au cours d’une des sept semaines au choix, une réédition, aussi inutile que déplacée, des scènes de la Tentation. Apparemment l’insertion de cet intermède au milieu des autres épisodes était commandée par la promiscuité de leurs monuments commémoratifs. Il faut rendre au Lalita-vistara cette justice que seul il a su renouveler fort adroitement la présentation d’un thème aussi rebattu. Il sait que Mâra sait qu’il ne lui reste plus qu’une seule chance : c’est que le nouveau Bouddha consente à passer directement de la Parfaite Illumination à l’Ultime trépas qui en est l’inestimable fruit ; ainsi le nombre des sujets du Malin ne serait diminué que d’une unité, et pour si peu son empire ne serait pas compromis. Il s’approche donc du Prédestiné et lui adresse une simple requête, la même qui ne recevra une réponse favorable que quelque quarante-cinq ans plus tard[3] : « Que le Bienheureux entre dans le Pari-nirvâna ; voici venu pour le Bienheureux le moment d’entrer

  1. Cette semaine est ordinairement numérotée la cinquième ; l’épisode de Mucilinda manque dans BC. Cf. E. Tuneld p. 64-75.
  2. V. AgbG fig. 521, 560. Les photographies d’Angkor ont vulgarisé la connaissance du riche parti décoratif que l’art du Cambodge a subsidiairement tiré de ce motif.
  3. C’est pourquoi le morceau revient dans le MPS et le DA (cf. infra p. 303).