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dans le Pari-nirvâna ». Mais à ces paroles du Malin le Prédestiné répond : « Je n’entrerai pas dans le Pari-nirvâna, ô Malin, tant que je n’aurai pas des moines bien formés, intelligents sages, habiles, instruits, ayant complètement saisi le sens de la doctrine, capables de s’éclairer de leurs propres lumières, et, après avoir justement réfuté les hérétiques éventuels et établi leur point de vue, d’enseigner miraculeusement la Loi (et la même phrase se répète à propos des nonnes, puis des zélateurs, puis des zélatrices, bref des trois autres groupes qui, avec les moines, constituent l’ensemble de l’église bouddhique[1]). Je n’entrerai pas dans le Pari-nirvâna, ô Malin, tant que je n’aurai pas renoué en ce monde la tradition (des trois joyaux), Bouddha, Loi et Communauté », etc. Sur quoi Mâra, une fois de plus rebuté, n’a d’autre ressource que de se retirer à l’écart pour y prendre sa pose consacrée et, la tête basse, ruminer sa défaite en traçant des lignes sur le sol ; et, comme cette fois il n’est plus armé en guerre, il s’acquitte de ce dernier soin avec un simple bâton. Cependant ses trois filles se font fort de le consoler en lui amenant cet homme, tel un éléphant captif, pris au lasso de leurs charmes. C’est en vain qu’il leur représente tout le premier la folie de leur entreprise ; désobéissant à leur père, les belles nymphes célestes osent lutiner le Bouddha accompli comme elles ont fait naguère le Bodhisattva : mais cette fois l’excès de leur impudence ne saurait rester impuni. Subitement elles se voient transformées en vieilles décrépites, et il ne faut rien moins que leur sincère repentir et l’infinie mansuétude du Maître pour qu’elles recouvrent leur pristine beauté[2]. Tout le morceau ne manque, on le voit, ni de nouveauté ni de piquant : l’auteur n’a oublié qu’un point, c’est que pendant tout ce temps le Bouddha est censé avoir gardé un silence obstiné sur ses intentions futures : mais sommes-nous à une contradiction près ?

Le premier repas après la Sambodhi. — Il reste encore une sixième et une septième semaine à meubler : on y pourvoyait d’ordinaire en transportant le Maître du pied du figuier-des-banyans du Chevrier à celui de l’arbre Târâyana[3]. Cependant le terme des quarante-neuf jours est proche et tout ce temps le Maître ne s’est nourri que de sa félicité. Comme à devenir le plus clairvoyant des hommes il n’a pas pour autant cessé d’être homme, son organisme physique réclame une nourriture plus substantielle. De même il est écrit qu’au bout de quarante jours « Jésus eut faim » et que les anges le servirent. On s’attend aussi à ce que d’officieux « fils-de-dieux » se chargent d’apporter à Çâkya-mouni les premiers aliments qu’il ait pris après son Illumination. La tradition réserve au contraire cet honneur et ce mérite sans prix à deux simples marchands de passage, donc à des membres de cette troisième caste à laquelle appartenait aussi la donatrice du dernier mets avant la Sambodhi, la jeune villageoise Soudjâtâ[4]. La légende, toujours si prompte à faire intervenir les divinités

  1. Ce sont les quatre parishad des bhikshu, bhikshuṇî, upâsaka et upâsikâ.
  2. Le Mâra-samyutta ne connaît pas la transformation en vieilles (Windisch p. 126), et la NK se refuse à croire que le toujours compatissant Buddha ait joué à ces Apsaras un si mauvais tour. Dans le MVU III p. 283 c’est sous la forme de vieilles femmes que les nymphes célestes abordent le Buddha. Cf. E. Tuneld p. 92 s.
  3. Le LV et le MVU sont au fond d’accord, car le premier spécifie (p. 381 l. 18) que l’arbre Târâyaṇa appartient à un bois de kshirikâ. Au contraire la NK attribue la cinquième semaine à l’Ajapâla-nyagrodha et la septième à l’arbre Râjâyatana.
  4. Il en ira de même de l’artisan Cunda, le donateur du dernier repas avant le Nirvâṇa (supra p. 304).