Page:Foucher - La Vie du Bouddha, 1949.djvu/188

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qui au besoin se passe de route et qui, construit tout en bois, peut se réparer partout. En tête marchent deux taureaux pur sang[1], guides tutélaires des autres paires d’attelage et qui, eux, ne se conduisent pas à l’aiguillon, mais à l’aide d’une tige de lotus bleu ou d’une guirlande de fleurs. Venant du pays d’Outkala (aujourd’hui le district de Gandjâm, dans le sud de l’Orissa), ils se dirigent vers le nord[2], sans doute par Gayâ, vers les grands marchés de Râdjagriha et de Vaïçâlî, et déjà ils foulent le territoire du village d’Ouroubilvâ. — Comme il faut que quelque fait insolite les avertisse du voisinage du Maître, ou bien les taureaux de tête refusent d’avancer, ou bien les chars se disloquent et les roues s’enfoncent dans le sol, ce qui ne laisse pas de répandre la terreur et la confusion parmi les caravaniers. Mais guidés ou non par une obligeante déité[3], ils ne tardent pas à découvrir le Bienheureux assis au pied de l’arbre Târâyana et resplendissant comme le soleil levant dans tout l’éclat de son Illumination récente ; et, pleinement rassurés à sa vue, ils se disent entre eux : « C’est un religieux et qui mange à ses heures (en effet la règle veut que le moine fasse son unique repas juste avant midi) : y a-t-il quelque chose (à lui offrir) ? Certains répondent : Il y a un entremets sucré à base de miel[4] et des cannes à sucre décortiquées. » Les deux marchands s’approchent donc du Prédestiné, se prosternent à ses pieds, font respectueusement par trois fois le tour de sa personne et lui disent : « Que le Bienheureux nous fasse la grâce d’accepter notre offrande de nourriture… » C’est à ce moment que l’intrigue rebondit en plein miracle.

Deuxième tableau : « Or ceci vint à l’esprit du Prédestiné : Il ne serait pas convenable que je reçoive (cette aumône) dans mes mains. Dans quoi les anciens Prédestinés, devenus Bouddhas accomplis, recevaient-ils (les aumônes) ? Et il connut que c’était dans un bol. Et s’apercevant que le moment de manger était venu pour le Prédestiné, à l’instant même, des quatre points cardinaux les quatre grands rois accoururent en apportant des bols d’or et les offrirent au Prédestiné : Que le Bienheureux nous fasse la grâce d’accepter ces bols d’or. — Ces bols ne conviennent pas à un çramane ; dans cette pensée le Prédestiné ne les accepta pas. » Sans se décourager, les divinités persistent à lui présenter des vases faits de l’une des six autres matières les plus précieuses (argent, jaspe, cristal de roche, améthyste, saphir, émeraude), voire même des sept à la fois. À chaque occasion, toujours pour la même raison, le Bouddha les refuse. Les quatre dieux se résignent enfin à finir par où dans la vieille tradition ils commencent, et lui apportent « chacun dans leurs mains » un bol de pierre[5], tel que la règle monastique le prescrit… Arrêtons-les ici, et gardons-les un instant figés dans cette attitude hiératique, debout et symétriquement rangés deux par deux de chaque côté du Maître assis sous son arbre et la main droite levée dans le geste de l’accueil : il se trouve en effet que, sans avoir pu le prévoir, ils posent pour la

  1. « Pur sang » se dit âjaneya.
  2. Le MVU III p. 303 renversela direction et fait de l’Ukkala un pays du Nord ; selon la NK les marchands vont vers l’Est.
  3. La NK préfère l’intervention d’une divinité officieuse ; l’ANS p. 239 utilise les deux procédés.
  4. Il s’agit d’un madhu-tarpana analogue à ceux dont les traités médicaux fournissent la recette, note le Dr J. Filliozat.
  5. Le MVA ne mentionne que les bols de pierre.