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C’est le moment, ou jamais, de faire intervenir les divinités ; et quel meilleur avocat choisir pour une cause aussi sainte que le plus imbu de spiritualité entre tous les dieux indiens, à savoir Brahma[1]. C’est à lui — et non comme dans les scènes de l’enfance à ce royal batailleur d’Indra — qu’appartient en cette pieuse circonstance le premier rôle. Assurément, quand il croit sa première démarche repoussée, il appelle à la rescousse son habituel compagnon de miracle, et, avec lui, des myriades d’autres divinités. Tous viennent, en tenue de cérémonie, « le manteau drapé sur l’épaule gauche », joindre leurs instances aux siennes. Les artistes, toujours de mèche avec les donateurs, en profitent pour consacrer à la « Requête » des compositions plus ou moins touffues, faisant pendant aux tableaux de l’ « Instigation » — la seule différence, mais essentielle, consistant en ce que le trône central est occupé non plus par le Bodhisattva, mais par le Bouddha accompli. Que le nombre des suppliants soit réduit aux deux protagonistes, assistés ou non par les quatre Grands Rois, ou que le bas-relief fourmille de divinités, c’est toujours Brahma reconnaissable à sa chevelure, qui occupe la place d’honneur à la gauche du Maître, tandis que « Çakra, l’Indra des dieux » est à présent rejeté de l’autre côté du panneau : car les scènes figurées sont également soumises aux lois de l’étiquette[2].

Cependant le Bouddha s’est-il rendu aux prières, trois fois renouvelées, des dieux ? Tantôt ceux-ci se plaisent à croire que, selon sa coutume, « il a consenti par son silence » ; tantôt même ils se vantent de lui avoir arraché une promesse : mais en fait c’est une autre série de considérations qui a déterminé le Prédestiné. Si l’on contemple du bord un étang de lotus, on ne tarde pas à s’apercevoir que certaines fleurs sont encore très profondément immergées tandis que d’autres s’élèvent déjà bien au-dessus des eaux ; et il en est enfin qui, montant obscurément vers la lumière, sont déjà près de s’épanouir à la surface. De même, en considérant le monde avec son œil divin, le Bouddha reconnaît que les êtres se divisent en trois catégories : ceux qui sont irrémédiablement enfoncés dans l’erreur, ceux qui sont déjà parvenus à la vérité, et ceux qui flottent encore entre la vérité et l’erreur. Pour les premiers, aucun espoir de les tirer (du moins dès à présent, car il ne faut désespérer de rien, ni de personne) des ténèbres de leur ignorance ou de leur fausse science ; pour les seconds, aucun besoin de leur apporter une aide quelconque puisqu’ils se sont déjà tirés d’affaire tout seuls. « Que le Maître enseigne ou n’enseigne pas », peu importe donc aux uns comme aux autres. Mais il y a toute cette foule intermédiaire et incertaine qui hésite entre le vrai et le faux, qui balance entre le bien et le mal : ceux-là seront perdus ou sauvés selon qu’ils auront ou non l’occasion d’entendre la Bonne parole… Sachez que c’est pour l’amour d’eux que le Bouddha s’est décidé « à faire tourner la roue de sa Loi ».

Le choix de l’auditoire. — Cette généreuse résolution une

  1. Il s’agit, bien entendu, du dieu Brahmâ, au masculin, personnification du brahman neutre.
  2. AgbG fig. 224-5.