Page:Foucher - La Vie du Bouddha, 1949.djvu/194

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fois prise, sa mise à exécution ne souffre aucun retard ; mais, pour prêcher, il faut des auditeurs : à qui le nouveau Bouddha va-t-il adresser sa première prédication ? Dans les idées indiennes son devoir est de penser d’abord à sa mère, puis à son père, puis à ses anciens précepteurs. Tel se présente en gradation descendante, l’ordre de ses obligations de reconnaissance ; et la preuve en est qu’à Bodh-Gayâ même un sanctuaire commémoratif marquait la place où Çâkya-mouni, aussitôt après son Illumination, avait commencé par endoctriner sa mère, descendue tout exprès de son ciel[1]. Pleins de mépris pour les liens de la famille, que tous ils ont impitoyablement brisés, les bonzes n’ont pas enregistré dans les textes cette réaction spontanée de la conscience populaire et renvoient froidement à plus tard la conversion de Mâyâ, déjà morte, comme de Çouddhodana, encore vivant[2]. À Roudraka et Arâda, sans doute à titre de confrères, ils témoignent plus d’égards et consentent à évoquer tout de suite leur cas : mais comme il était convenu que les premiers prosélytes du Bouddha avaient été ses cinq condisciples et non ses deux anciens professeurs, ils se débarrassent de ceux-ci en les déclarant morts, le premier depuis sept jours, le second depuis trois[3] : « Grand dommage pour eux », déclare le Bienheureux ; et tout naturellement sa pensée se reporte alors vers les « Cinq de la bande fortunée », qui l’ont tout récemment abandonné quand ils l’ont vu renoncer à ses austérités. Parcourant de son regard magique toute l’étendue de l’Inde, il les aperçoit qui se sont retirés dans un ermitage voisin de Bénarès, et immédiatement il décide d’y aller les rejoindre. — Telle est du moins la tradition établie : qu’en faut-il penser ? D’une part l’affabulation du récit orthodoxe ne manque pas de vraisemblance : il est bien évident que ces cinq âmes, avides de révélations nouvelles et habituées aux méditations philosophico-religieuses, sont à la fois, comme il est écrit, de celles qui sont le mieux préparées à comprendre la doctrine et de celles qui ont le plus à perdre si celle-ci ne leur est pas communiquée ; puis, toujours magnanime, Çâkya-mouni a dû conserver pour eux quelque amitié ; et peut-être aussi (qui lira jusqu’au fond des cœurs ?) a-t-il hâte de tirer de leur abandon prématuré une éclatante revanche. Mais, d’autre part, il est surprenant de lui voir imposer après un long jeûne un pédestre voyage de près d’une centaine de lieues avant de l’autoriser à ouvrir la bouche sur les découvertes dont son esprit est plein ; plus surprenant encore de constater qu’il lui faille, aussitôt après, revenir sur ses pas de Bénarès à Bodh-Gayâ où l’attend un succès numériquement beaucoup plus considérable, mais extrêmement laborieux. Aussi est-il permis de se demander, au risque de tenir des propos sacrilèges, si le sermon de Bénarès fut vraiment le premier qu’ait prononcé le nouveau Bouddha, ou seulement le premier qui lui ait gagné des convertis ; sur les précédentes tentatives de prosélytisme du Maître, la légende aurait fait le silence,

  1. Hiuan-tsang J I p. 483 ; B II p. 130 ; W II p. 131.
  2. Cf. supra p. 234 pour Çuddhodana et p. 274 pour Mâyâ.
  3. L’ANS p. 242 et la NK p. 81 (laquelle intervertit les noms) disent « depuis la veille au soir ».