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déblaiement se faisait au panier — méthode lente, mais qui a l’avantage que toute pelletée de terre est remuée à fond. Des coulis des deux sexes et de tout âge se suivaient en longues files et chacun, après avoir vidé sa corbeille de déblais, recevait de la main d’un contremaître une kaouri (orth. anglaise : cowrie[1]), c’est-à-dire un petit coquillage, monnaie infinitésimale ne valant pas même deux millimes de franc-or, mais qui avait encore néanmoins pouvoir d’achat au bâzâr : il fallait seulement chaque matin en faire venir un plein char à bœufs de chez les changeurs de la cité. Les nombreux objets d’art exhumés par ces patientes recherches, fragments d’architecture, bas-reliefs, statues et terres cuites, ont trouvé un abri dans les galeries d’un musée local, très élégamment dessiné. La série s’ouvre par le chapiteau aux lions, si justement célèbre, qui surmontait la colonne érigée sur l’ordre d’Açoka à côté du stoupa commémoratif ; elle se continue par de belles images du Bouddha de la période Goupta pour se clore par des œuvres de basse époque[2]. La dernière fondation en date, due à la reine Koumaradêvi de Kanaudj[3], remonte au début du xiie siècle ; mais les bouddhistes ont rappris le chemin de ce site sacré et leur piété y a déjà élevé un nouveau sanctuaire. Les anciens couvents de l’Inde centrale étaient faits (et de nos jours ceux du Cambodge le sont encore) de petites huttes plus ou moins dispersées dans le paysage, servant de cellules individuelles aux moines ; et textes et inscriptions désignent sous le nom de « Cabane parfumée[4] » celles qui avaient eu l’honneur d’abriter le Maître. Comme Sarnâth est le premier ermitage où ait séjourné le nouveau Bouddha, les fidèles d’aujourd’hui se sont crus autorisés à donner à leur édifice l’appellation de « Cellule magistrale des origines[5] » : ainsi les traditions longtemps interrompues se renouent sous nos yeux.

À en croire les noms de cette place sainte et les contes qui prétendent en expliquer la sainteté, celle-ci serait bien antérieure au bouddhisme. Les uns gardent le souvenir des gazelles qui la hantaient jadis et donnent à penser que c’était primitivement un coin de forêt servant de réserve de chasse au roi de Bénarès, quelque chose comme les « paradis » des monarques iraniens. Les autres évoquent les rishis qui avaient fait de ce bois, proche de Bénarès, leur retraite favorite. Ainsi qu’il fallait s’y attendre, les bouddhistes, bien que tard venus, se sont efforcés de s’annexer les deux aspects de la légende. Les rishis du passé se transformèrent aisément pour les besoins de la cause en « Bouddhas individuels » ; leurs derniers représentants, dûment avertis de la prochaine apparition de Çâkya-mouni, s’étaient, on s’en souvient, élevés dans les airs et consumés eux-mêmes dans le feu de leur extase ; comme leurs reliques corporelles ainsi purifiées étaient retombées à terre, la place avait changé son nom de « Conversation des rishis » pour celui de leur « Chute[6] ». Quant aux gazelles un expédient tout trouvé était de transformer le roi de leur troupeau en une incarna-

  1. La roupie qui valait alors 1 fr. 75 or compte seize anna valant chacun quatre païsa valant chacun quinze kaouri.
  2. Cf. Daya Ram Sahni, Catalogue of the Museum of Archæology at Sârnâth (Calcutta, 1914).
  3. Kanauj (ou Canodge) est l’ancien Kanyakubja (grec Kanogidza).
  4. Skt gandhu-kuṭî : cf. le célèbre médaillon de Barhut représentant le don du Jetavana (supra p. 238).
  5. Mûla-gandha-kuṭî (cf. Revealing India’s Past p. 128 et 230).
  6. Au lieu de Ṛshivadana, Ṛshi-patana (cf. supra p. 179).