Page:Foucher - La Vie du Bouddha, 1949.djvu/200

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tion antérieure du Bodhisattva. Chaque fois que le roi de Bénarès venait chasser dans son parc, il procédait à un grand massacre de ces antilopes, et beaucoup d’entre elles allaient mourir de leurs blessures dans des fourrés où leurs cadavres devenaient la proie des chacals et des oiseaux ; cela faisait beaucoup de sang inutilement répandu et beaucoup de venaison perdue. Le roi des cerfs conclut donc avec le roi des hommes une convention par laquelle il s’engage, en échange d’une promesse de trêve, à fournir quotidiennement pour les besoins de la table royale une gazelle tirée au sort. Un jour le sort tombe sur une biche qui était grosse, et, comme aucun de ses congénères ne consent à se dévouer à sa place, c’est le Bodhisattva lui-même qui se sacrifie et vient spontanément se livrer au cuisinier de la cour. Bien entendu, à la vue du noble animal, le couteau tombe des mains du maître-coq. Aussitôt averti, le roi de Bénarès accourt, et, pénétré d’admiration devant tant de magnanimité, accorde la vie sauve à toutes les gazelles. Mieux encore, en dépit des réclamations des paysans, dont celles-ci ravagent les récoltes, il se refuse à révoquer son édit ; et c’est pourquoi, au lieu du « Bois-des-Gazelles », le Mahâvastou écrit parfois : « la Faveur faite aux gazelles[1] ». Que la fable soit touchante et de tonalité bien indienne, chacun le reconnaîtra : plus émouvant et plus original encore est son écho répercuté par l’histoire. Lisez ce qu’au début de sa conversion au bouddhisme, l’empereur Açoka promulgue dans son premier édit sur roc : « Naguère dans la cuisine de Sa gracieuse Majesté le Favori-des-dieux bien des centaines de milliers d’animaux étaient journellement tués pour les besoins de la table : maintenant, à partir de la rédaction du présent édit de religion, trois seulement sont mis à mort à cette intention, deux paons et une gazelle, et encore la gazelle pas régulièrement ; dorénavant même ces trois là ne seront plus mis à mort… » Cherchez en dehors de l’Inde un pays de la terre qui puisse produire aux yeux du monde pareil texte officiel, et encore ayant plus de vingt siècles de date.

Il fallait ces récits édifiants pour nous faire comprendre que nous puissions tantôt lire que c’est « dans le Bois-des-Gazelles, Parlotte-des-Sages », et tantôt « dans la Chute-des-Sages, Grâce-des-Gazelles », que le Bouddha a fait pour la première fois tourner la roue de sa Loi. Toutes ces appellations désignent le même lieu ; et comme les édifices religieux ou leurs ruines n’y avaient pas encore remplace les arbres, ce n’est pas trop s’avancer que de prétendre qu’il devait alors présenter un spectacle fort analogue à celui qu’offrent périodiquement de nos jours plus d’un parc princier du Râdjpoutâna. Là aussi des bandes de sâdhou continuent à s’installer de leur autorité privée, sans que le mahâradja puisse y trouver à redire. Les uns s’abritent sous les pavillons, d’autres se dressent de petites tentes, et tous vaquent paisiblement comme chez eux à leurs affaires, faisant leur ménage en plein vent, cassant leur bois, cuisant leur riz, procédant à leurs

  1. Au lieu de Mṛga-dâva, Mṛga-dâya ; cf. MVU I p. 351 s. et Ajaṇtâ pl. 85.