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de gens sédentaires non seulement à leurs idées fausses et à leurs rites futiles, mais encore à leur résidence, à leurs troupeaux, à leurs provisions pour en faire des religieux errants et mendiants : il faut à présent nourrir cette horde famélique, et ni le village d’Ouroubilvâ, ni les hameaux voisins, ni même la ville de Gayâ n’y peuvent longtemps suffire. Aussi la tradition sait-elle que le Bienheureux se hâta d’emmener sa bande de nouveaux disciples à la capitale du Magadha, seule assez riche pour pourvoir sans difficulté à leur nourriture quotidienne. Bien entendu on nous donne pour ce déplacement d’autres raisons, et de plus édifiantes. Il est nécessaire de démontrer de visu aux habitants de Râdjagriha, du vieux Kâçyapa et du jeune Çâkya-mouni, lequel reconnaît la supériorité de l’autre[1] ; et le Bouddha prend soin qu’aucun doute ne puisse subsister sur ce point. Surtout il convient que le nouveau Bouddha tienne la promesse qu’il est censé avoir faite sept ans plus tôt au roi Bimbisâra. Peu importe que cette première entrevue nous ait paru (p. 127) n’être qu’un doublet rétrospectif de celle à laquelle on nous convie à présent : c’est déjà beaucoup de reconnaître que celle-ci est au fond vraisemblable et d’ailleurs confirmée par la suite des événements.

Le roi Bimbisâra. — On ne nous demande plus en effet de croire que le prestige personnel d’un jeune çramane inconnu, simple étudiant en quête d’un maître, ait suffi à révolutionner le bâzâr, à alerter la police et à déranger jusqu’au roi. Çâkya-mouni fait désormais figure de chef de secte ; il traîne à sa suite des centaines de disciples, et les hommages publics que lui rend docilement le vieux Kâçyapa achèvent de le porter au pinacle dans la dévotion populaire. Tout cela vaut bien des honneurs spéciaux ; on peut seulement s’attendre à ce que les hagiographes, désireux de se montrer à la hauteur de ces circonstances nouvelles, les aient magnifiés à plaisir. Fidèles observateurs de la règle ascétique, le Bouddha et son cortège se sont arrêtés en dehors de l’enceinte de Râdjagriha, dans le parc royal du « Bois-des-Perches[2] ». Le Mahâvastou veut que tous les habitants de la ville, monarque en tête, se soient portés en grande pompe à sa rencontre. Il nous donne même à cette occasion une énumération, fort intéressante pour l’historien de la civilisation, de toutes les catégories sociales et de tous les corps de métier que comportait la population d’une capitale indienne, il y a deux mille ans et plus. Bien entendu une conversion générale couronne cette démarche inusitée et visiblement imaginée après coup. Le Mahâvagga débute de façon beaucoup plus simple. La visite royale se déroule selon le protocole habituel et s’achève, comme de coutume, sur une invitation à dîner au palais pour le lendemain. C’est à l’occasion de cette entrée à Râdjagriha que le texte pâli organise à son tour une procession triomphale, et ne craint même pas de la faire précéder, en guise de tambourinaire, par Çakra, l’Indra des dieux ; celui-ci serait descendu tout exprès de son ciel sous la forme d’un

  1. Le BC tib. XVI 54-71 insiste particulièrement sur ce point.
  2. Skt Yashṭi-vana ; p. Yatthi ou Laṭṭhi-vana ; cf. hind. lâṭḥi.