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les vieux sculpteurs indiens de représenter des eaux courantes par quelques lignes ondulées, entremêlées de poissons et d’oiseaux aquatiques ; et c’est sans doute pourquoi les auteurs de la porte Est du grand stoupa de Sâñchî sont d’accord avec le Mahâvagga pour mettre en vedette le miracle de l’inondation sur la façade du jambage de gauche. Par un autre trait encore se révèle l’influence que peuvent exercer les monuments figurés sur la teneur de la légende. Fidèles interprètes des idées populaires et d’ailleurs simplistes par définition, les bas-reliefs représentent couramment côte à côte les trois frères Kâçyapas — par exemple à Sâñchî dans leur barque, ou au Gandhâra devant le bol d’où émerge la tête du cobra. Pourtant le Mahâvagga stipule bien que c’est le vieux Kâçyapa d’Ouroubilvâ et ses cinq cents disciples qui furent les premiers à se convertir. Dans leur enthousiasme de néophytes, ils jettent à la rivière tous leurs accoutrements et leurs ustensiles brahmaniques, et c’est en voyant passer au fil de l’eau ces objets familiers que les deux autres frères, le Kâçyapa de la Rivière et celui de Gayâ, se doutent que quelque événement extraordinaire vient de se passer chez leur aîné. Pleins d’alarme, ils se hâtent d’accourir, l’un avec ses trois cents, l’autre avec ses deux cents disciples, et c’est alors seulement qu’ils se convertissent à leur tour. Quand donc le Mahâvastou transforme d’un seul coup en moines bouddhiques les mille anachorètes et leurs trois supérieurs, il est clair qu’il s’inspire de la version abrégée des imagiers. Toutefois il n’a pas voulu sacrifier le pittoresque détail de la Naïrañjanâ charriant dans ses flots le matériel brahmanique de l’ermitage d’amont : il a donc inventé pour la circonstance un neveu des trois Kâçyapas, placé encore plus bas sur la rivière avec ses deux cent cinquante disciples, si bien que le nombre total des anachorètes se trouve porté par lui de mille à douze cent cinquante[1]. La désinvolture avec laquelle il procède à cette augmentation induit à soupçonner que le chiffre original avait été déjà enflé dans le Mahâvagga par l’addition des congrégations particulières attribuées d’office au puîné et au cadet des Kâçyapas.

Les conversions de Râdjagriha. — Toutefois, au milieu des exagérations auxquelles se complaît la légende, elle garde toujours un certain sens des réalités. Il était admis — et nous n’avons aucune raison pour ne pas l’admettre avec elle — que le nouveau Bouddha avait remporté, moins d’un an après sa Sambodhi et sur les lieux mêmes qui en avaient été le théâtre, une victoire d’autant plus éclatante qu’elle avait été plus difficile à obtenir. Une confrérie brahmanique s’était convertie en masse à sa Loi : tout ce dont nous sommes libres de douter, c’est qu’il ait suffi pour la transformer sur-le-champ, « ainsi qu’un serpent change de peau », en une communauté de moines bouddhiques d’une magique formule d’ordination tombée des lèvres du Maître. Mais ce n’est pas tout que d’arracher d’un seul coup des centaines

  1. Les textes tibétains (Leben p. 257) complètent au contraire ce même chiffre de 1250 avec les 250 disciples de Sañjaya (supra p. 226-7).