Page:Foucher - La Vie du Bouddha, 1949.djvu/23

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monde méditerranéen et l’a forcée à se retourner vers l’Extrême Orient. Tout compte fait, ce n’est pas avant la fin du ier ou le début du iie siècle de notre ère qu’elle a commencé à élever des prétentions à l’universalisme et, pour les besoins de sa propagande, s’est mise à rédiger les premières « vies » de son Maître. Si donc l’on croit retrouver dans les Évangiles — et notamment dans les Évangiles apocryphes de l’Enfance — des incidents miraculeux rappelant ceux que rapportent également le Lalita-vistara ou le Bouddha-tcharita, on ne peut considérer comme résolue d’avance la question de savoir qui est l’emprunteur et qui le prêteur (cf. infra, p. 36 et 57).

Ce n’est pas tout : prenez les cas les plus favorables — nous voulons dire ceux où l’analogie semble au premier abord des plus frappantes, comme quand, de part et d’autre, les Écritures insistent sur le caractère immaculé de la conception du futur prophète (infra, p. 46 s.) ou racontent qu’un vieillard inspiré a prédit l’exceptionnelle destinée du nouveau-né (infra, p. 61 s.). Si au lieu de raisonner dans l’abstrait vous confrontez les passages correspondants et qu’aucune partialité sectaire n’obnubile chez vous le sens critique, vous constaterez que, sous l’apparente conformité des préoccupations ou des situations, ni la lettre, ni (ce qui importe plus encore) l’esprit des deux textes, une fois placés côte à côte, ne se ressemblent le moins du monde. À mesure que vous avancez dans votre lecture, la prétendue analogie se dissipe et finit par s’effacer. Ce n’était qu’un fantôme qui disparaît du moment qu’on veut le saisir ; et comme à chaque fois cette expérience se répète, on est bien forcé de conclure que les deux traditions sont absolument indépendantes. Elles ont été élaborées, nous ne disons pas en vase clos, mais dans des milieux parfaitement étrangers l’un à l’autre, bien que l’un et l’autre partiellement ouverts aux influences iraniennes.

Tel est le verdict formel du philologue, si la question est soumise à son jugement. Assurément l’historien peut revenir à la charge et rappeler que cet isolement n’a pas été perpétuel ; que le christianisme a forcé la barrière sassanide et établi sous les Gouptas des diocèses jusque dans l’Inde ; que de son côté la théosophie bouddhique a recruté des adhérents dans les cercles gnostiques d’Alexandrie et de Syrie ; que Mâni a pu tenter la synthèse des deux religions ; et que de leurs rapports entre elles nous tenons au moins une preuve palpable, puisque le roman de la jeunesse du Bouddha, passé du sanskrit en grec par l’intermédiaire du syriaque, s’est introduit dans la patrologie chrétienne sous l’autorité de st Jean Damascène et que le Bodhisattva, à peine déguisé sous le nom de Joasaph ou Josaphat, a pris place dans les martyrologes romain et grec. Ce sont là des faits bien connus et que nul ne conteste : mais ils sont tous postérieurs de plusieurs siècles au temps où les biographies des deux Sauveurs avaient été fixées de façon définitive. Ils ne changent donc