Page:Foucher - La Vie du Bouddha, 1949.djvu/254

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas capable d’apercevoir ce qu’il y a au fond de son bol[1]. Désire-t-on une contre-épreuve démontrant qu’au contraire la parole du Bouddha ne peut être que véridique ? Toujours à Râdjagriha le Prédestiné a prédit à un donateur occasionnel, adepte des Ascètes nus et dont la femme était grosse, qu’il aurait un fils. Il s’agit pour les hétérodoxes de démentir à tout prix la prophétie de leur rival ; et ils ont assez d’empire sur l’esprit de leur imbécile de zélateur pour obtenir de lui qu’à force de manœuvres abortives il fasse mourir son épouse avant terme. Le cadavre est porté au lieu de crémation et déjà ils triomphent quand, pour leur confusion, un beau petit garçon sort indemne du bûcher de la mère[2].

Les visites. — Ces anecdotes, choisies entre bien d’autres, ont cet intérêt immédiat de nous apprendre quel était le reproche essentiel, et souvent trop fondé, que se renvoyaient l’une à l’autre les différentes sectes. En somme elles s’accusaient réciproquement d’escroquerie à la dévotion : car c’est en s’attribuant faussement la possession des pouvoirs magiques, à commencer par l’omniscience, qu’elles maintenaient leur emprise sur les populations. Du même coup nous comprenons mieux quelles sortes de pièges le Bouddha était journellement exposé à se voir tendre par ses irréconciliables adversaires. Comme l’audience des fins d’après-midi était ouverte à qui voulait, rien ne le défendait contre des machinations qui toutes tendaient à le déconsidérer aux yeux du vulgaire, et l’occasion était belle de lui poser publiquement des questions captieuses, voire même de lancer contre lui de calomnieuses accusations[3]. De celles-ci il sera bientôt question ; pour l’instant il suffit de donner de celles-là un exemple typique et dont la pointe ne nous échappe plus. Un jour un sophiste hétérodoxe vient se camper devant le Maître assis au milieu du cercle de ses auditeurs, en tenant dans l’une de ses mains un moineau (l’espèce en est répandue dans tout l’Ancien monde) ; et il le défie de lui dire si l’objet qu’il tient est mort ou vivant. Quelle que fût sa réponse, il se proposait de le démentir au su et au vu de tous soit en étouffant l’oiselet, soit en le laissant s’envoler[4]. À ce jeu de devinette, s’il avait eu l’imprudence de s’y prêter, le Bouddha ne pouvait que perdre la face.

Dès lors en comprend mieux pourquoi le Maître, avant d’engager une controverse, s’informe auprès de son interlocuteur si ce dernier se propose de discuter de bonne foi et de maintenir le débat sur le plan désintéressé des idées pures. Tel était, hâtons-nous de le dire, l’habituelle disposition d’esprit de ses contradicteurs brahmaniques. Du point de vue doctrinal, ils étaient les plus éloignés de lui ; mais ou bien, restés dans le monde, ils exerçaient comme aujourd’hui toutes sortes de professions ; ou bien, voués à la vie religieuse, tantôt ils recevaient des rois quelque apanage, tantôt ils pourvoyaient eux-mêmes dans leurs ermitages au plus clair de leurs besoins matériels : et ainsi ils n’avaient pour la plupart aucune raison d’user des mêmes procédés de con-

  1. Dans le SA (trad. É. Huber p. 363) c’est la cuiller qui est cachée au fond du bol.
  2. Sur l’histoire de Jyotishka sauvé du feu v. DA p. 262 s. ; Life p. 65 ; et AgbG fig. 258-260.
  3. Pour les calomnies v. supra p. 277 s.
  4. Pour l’héterodoxe au « passereau » ou au « loriot » v. Hiuan-tsang, J II p. 49 ; B II p. 173 ; W II p. 170.