Page:Foucher - La Vie du Bouddha, 1949.djvu/280

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Clairvoyants. N’y a-t-il que les offrandes qu’on lui présente qui soient méritoires ? Celles que l’on nous présente rapportent aussi de grands mérites. Allons, faites-nous l’aumône ! » Mais ils avaient beau faire ainsi appel aux gens, ils n’obtenaient ni profits ni honneurs. Alors ils tinrent un conciliabule secret et délibérèrent : « Par quel moyen arriverons-nous, en déshonorant le religieux Gotama aux yeux des gens, à mettre fin à ses profits et honneurs ? »

Or il y avait en ce temps-là à Çrâvastî une religieuse (hétérodoxe) nommée la novice Tchiñtchâ qui était très belle, pleine de grâce, pareille à une nymphe céleste ; et une lumière radieuse émanait de sa personne. Et un conseiller sans vergogne parla ainsi : « Servons-nous de la novice Tchiñtchâ pour perdre de réputation le çramane Gotama et mettre fin à ses profits et honneurs. » Et tous se trouvèrent d’accord pour dire : « Oui, c’est bien là le moyen. »

Quand donc Tchiñtchâ vint à l’ermitage des Hétérodoxes, elle les salua et attendit : les Hétérodoxes ne lui adressèrent pas la parole : « Quelle peut bien être ma faute, Seigneurs ? Voilà trois fois que je vous salue, dit-elle ; quelle peut bien être ma faute que vous ne m’adressez pas la parole ? — Ne connais-tu pas, ma sœur, ce çramane Gotama, notre ennemi, qui par ses menées nous prive de tout profit et honneur ? — Je ne le connais pas, Seigneurs, et d’ailleurs qu’y puis-je faire ? — Si tu nous veux du bien, ma sœur, emploie-toi à déshonorer le çramane Gotama pour mettre fin à ses profits et honneurs. — Bien, Seigneurs, j’en fais mon affaire ; soyez sans inquiétude. » Et ayant ainsi parlé, elle se retira.

Experte qu’elle était en artifices de femmes, à partir de ce jour, quand (à la nuit tombante) les habitants de Sâvatthî, après avoir écouté le sermon, sortaient du Djêtavana pour rentrer chez eux, elle, vêtue d’une robe écarlate et tenant à la main parfums et guirlandes, se dirigeait (au contraire) vers le Djêtavana ; et si quelqu’un lui demandait : « Où vas-tu à cette heure ? », elle répondait : « En quoi cela vous regarde-t-il où je vais ? » Elle passait la nuit dans un couvent d’Hétérodoxes situé dans le voisinage du Djêtavana ; et dès l’aube, quand les zélateurs (du Bouddha), désireux de venir lui faire leur salutation matinale, sortaient de la cité, elle, tout comme si elle avait passé la nuit au Djêtavana, rentrait en ville ; et si quelqu’un lui demandait : « Où as-tu passé la nuit ? », elle répondait : « En quoi cela vous regarde-t-il où je couche ? » Au bout de quelques semaines, quand on l’interrogeait (elle se mit à dire) : « J’ai couché au Djêtavana avec le çramane Gotama dans sa cellule privée ». Et les gens du commun étaient pris d’un doute : « Est-ce que c’est vrai ou non ? » Au bout de trois ou quatre mois elle s’enroula des étoffes autour du corps pour se donner l’apparence d’être enceinte, et elle fit croire aux imbéciles qu’elle était grosse des œuvres du çramane Gotama. Au bout de huit à neuf mois elle s’attacha sur le ventre un hémisphère de bois, se battit les mains, les pieds, les flancs avec une mâchoire de bœuf pour se couvrir d’enflures et prit un air languissant. Un soir que le Prédestiné prêchait, assis sur le splendide siège de la-Loi, elle entra dans la salle et vint se camper en face de lui : « Grand çramane, dit-elle, tu prêches au peuple la Loi, et ta voix est douce, et plaisantes tes lèvres ; me voici cependant, moi, grosse de tes œuvres et prête à accoucher : et tu ne t’occupes nullement de me procurer ni une chambre pour faire mes couches, ni le beurre fondu, l’huile et le reste ; et non seulement tu ne fais rien, mais tu ne dis même pas à l’un de ceux qui te sont dévoués, soit au roi de Kosala, soit à Anâthapindada, soit à la grande zélatrice Visâkhâ[1] : Faites le nécessaire pour cette novice. Tu sais bien faire l’amour, mais tu ne sais pas parer à ses conséquences. » C’est ainsi qu’en pleine assemblée elle prit à partie le Prédestiné, pareille à qui s’efforcerait de souiller le disque de la lune avec une poignée d’ordures. Et le Prédestiné, interrompant sa prédication, lui répondit avec le rugissement d’un lion : « Ma sœur, si ce que tu viens de dire est vérité ou mensonge, il n’y a que toi et moi à le savoir. — Oui vraiment, çramane ; il n’y a que nous deux qui sachions à quoi nous en tenir sur ce point… »

  1. Sur la dévote et généreuse Visâkhâ il suffit de renvoyer à Oldenberg p. 186 s.