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On le voit, le narrateur se rendait parfaitement compte du caractère particulièrement insidieux de l’accusation portée contre le Maître. Vraie ou fausse, c’est une de celles dont il est le plus difficile à un homme de se disculper ; et c’est pourquoi, dans sa sagesse, notre Code civil interdisait en principe la recherche de la paternité. Par bonne chance pour le Bouddha, la grossesse de Tchiñtchâ n’est que feinte ; et puis n’a-t-il pas à son service Indra, le roi des dieux ? À ce moment même celui-ci sent que son siège de marbre s’échauffe sous lui ; pour découvrir la cause de ce phénomène insolite, il parcourt l’univers de son œil divin, voit de quoi il retourne et arrive instantanément escorté de quatre de ses divins sujets. Ses aides-de-camp, prenant la forme de souris, grimpent dans les vêtements de Tchiñtchâ, rongent les liens qui attachent sur son ventre l’hémisphère de bois, et le lui font tomber sur les orteils. La chute de cet objet, la grimace de douleur de la donzelle et son amaigrissement subit démontrent d’un trait aux fidèles l’abominable calomnie dont elle s’est faite l’instrument. Elle doit s’enfuir sous les huées, les crachats et les coups ; et, dès qu’elle a quitté le sol sacré du Djêtavana et se trouve hors de la vue du Maître, la terre s’entr’ouvre sous elle et, tout enveloppée de flammes, elle est précipitée au plus profond des enfers[1].

Telle est l’histoire de la novice Tchiñtchâ ; et il faut reconnaître qu’elle nous est très adroitement contée. Sans doute l’héroïne est un parangon d’astuce et d’effronterie féminines, et elle est justement damnée ; mais pourtant on la plaint, car on la sait en définitive victime de son dévouement à ses supérieurs, et c’est sur ceux-ci que retombe toute la responsabilité de son crime comme de son châtiment. Sa punition, notez-le, n’est nullement le fait du Maître, qui n’en est même pas spectateur : c’est une de ces manifestations de la loi immanente du karma, qui parfois sanctionnent immédiatement le crime[2]. On ne veut d’ailleurs pas que ce terrible exemple ait le moins du monde découragé les Hétérodoxes : l’échec de leur machination les incite seulement à en inventer une meilleure. Cette mauvaise langue de Rudyard Kipling (en ce temps-là il était encore journaliste) prétend que dans l’Inde du xixe siècle rien n’était plus facile que de monter contre son ennemi, pour quelques centaines de roupies, une accusation d’assassinat, cadavre compris. C’est à ce procédé perfectionné de dénigrement qu’ont recours les rivaux du Maître : car un faux témoin peut être confondu, mais une macabre et muette pièce à conviction n’est pas si facile à récuser. Les textes reprennent donc mot pour mot, à propos de la novice Soundarî, « la Belle », le même récit que nous venons de lire sur le compte de la novice Tchiñtchâ, « le Plant de tamarin » : mais cette fois la séduisante émissaire des Hétérodoxes n’a pas plus tôt lancé dans la circulation une seconde édition de la même calomnie que ces monstres de scélératesse la font égorger par des bravi à leur solde et cacher

  1. Jâtaka no 472, cf. DhPC XIII 9 ; elle tombe dans l’enfer Avîci, le plus bas et terrible des huit enfers chauds (cf. BPh p. 62).
  2. Son cas et le suivant sont de ceux qui entraînent rétribution immédiate (cf. ibid. p. 180).