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se noyer dans le flot montant des commémorations pieuses : mais des textes relativement anciens proclament sa prééminence et le donnent comme l’un des actes essentiels que doit accomplir tout Bouddha[1]. De fait nul ne songe à contester qu’un conflit entre le Prédestiné et les chefs des Communautés antérieures à la sienne ne fût rendu inévitable par les conditions mêmes de leur concurrence vitale. Tout ce qu’il est légitime de supposer c’est que nos informateurs bouddhistes n’auront pas manqué d’attribuer à l’hostilité des Hétérodoxes les motifs les plus bas comme aux manifestations de leur animosité les formes les plus criminelles. C’est à peine s’ils consentent parfois à faire allusion à des dissentiments d’un ordre plus relevé, parce que portant sur des différences de doctrine ou de discipline ; et alors même qu’ils prétendent nous exposer les idées philosophiques de leurs adversaires, il est fort à craindre qu’ils ne se plaisent à leur imprimer un tour ridicule, ou tout au moins inacceptable pour les gens sensés : car la bonne foi n’a jamais été la règle de la polémique[2]. Il paraît également surprenant que les émules de Çâkya-mouni aient pu oublier leurs rivalités particulières au point de faire cause commune contre le nouveau venu. Mais que d’un camp à l’autre des défis aient été lancés et des luttes de paroles engagées, c’est là un trait de mœurs indiennes qui depuis la plus haute antiquité nous est trop souvent attesté pour susciter le moindre doute. Les annales brahmaniques aussi bien que bouddhistes retentissent des échos de grandes discussions publiques, engagées souvent sur initiative ou même sous présidence royale, et dont l’enjeu est tantôt la suprématie du controversiste vainqueur, tantôt celle du groupe dont il s’est (ou a été) constitué le champion[3]. Débats solennels ou simples prises de bec, ce sont toutes ces joutes oratoires qu’à tort ou à raison la légende a, si l’on peut ainsi dire, condensées en un sensationnel « Colloque » — pour employer le terme dont nous usions nous-mêmes au temps de nos guerres de religions — de telle façon que le Bienheureux pût confondre en une seule séance tous ses rivaux à la fois. Qu’un triomphe si prompt et si complet n’ait pu être obtenu sans quelque miracle, c’était l’évidence même aux yeux des croyants ; et les prodiges sont venus en effet s’échafauder les uns par-dessus les autres, à mesure que se succédaient, chacun renchérissant sur la précédente, les versions de plus en plus édifiantes de l’événement. Exactement comme sous les tertres de Saheth-Maheth, l’observateur peut déceler dans l’amoncellement des textes des couches appartenant à différentes époques et peu à peu superposées, ici au sol naturel et là au fond commun primitif. C’est évidemment la plus ancienne forme du récit qui nous intéresse avant tout, car c’est la seule qui ait chance de nous retracer quelque ombre des agissements d’autrefois : mais peut-être n’est-il pas hors de propos, puisque le cas s’y prête, d’examiner comment se forge de toutes pièces un « Grand prodige magique ».

  1. Pour la tradition sanskrite v. DA XII p. 143 s. (traduit in-extenso par Eug. Burnouf IHBI p. 161 s.) et pour la pâlie Jât. no 483 ; DhPC XIV 2 ; Manual p. 300 s. Les deux traditions sont comparées avec nombre de planches à l’appui dans le JA 1909 p. 9 s. ou BBA p. 151 s.
  2. Par ex. dans le « Sermon sur le Fruit de l’ascétisme » (trad. Eug. Burnouf Lotus p. 449 s. et Rhys Davids Dial. I p. 56 s.).
  3. Il suffit de rappeler ici le grand tournoi dialectique organisé par le roi Janaka dans la Bṛhad-âraṇyaka-upanishad III, ou le récit que fait Hiuan-tsang (J I p. 430 s. ; B II p. 99 s. ; W II p. 100) de la joute entre le moine Deva et les hétérodoxes etc.