Page:Foucher - La Vie du Bouddha, 1949.djvu/290

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sa Loi. Il fait alors rouler sur son cousin, du haut du Pic-des-Vautours, un quartier de roche ; mais seul un éclat de pierre fait quelque peu saigner l’un des pieds du Bienheureux : deuxième crime inexpiable au compte de l’agresseur, et, pour la victime de l’agression (si du moins l’on en croit les théologiens tardifs), juste rétribution d’un vieux karma depuis longtemps oublié et qui soudain se réveille[1]. Enfin, avec la complicité royale, il tente de faire fouler aux pieds Çâkya-mouni par un éléphant furieux. C’est seulement quand toutes ces embûches ont échoué qu’il ne s’en fie plus qu’à lui-même et que, pour venir à bout d’un rival exécré, il imagine un procédé entre tous exécrable. Il rejoint le Bienheureux à Çrâvastî et feint de vouloir demander son pardon avec l’idée qu’en se prosternant devant lui, il lui fera aux pieds, avec ses ongles chargés de poison, des égratignures mortelles. Qu’inventer de pire ? L’imagination des conteurs demeurant court, il ne leur resté d’autre ressource que de déclarer la mesure comble et de précipiter le scélérat au fond des enfers. Nous avons déjà vu qu’il s’était trouvé des compères pour montrer l’ouverture de la trappe par laquelle le traître du mélodrame avait finalement disparu.

La subjugation de l’éléphant furieux. — Le fait que nous ne puissions accorder aucune créance au théâtral dénouement des intrigues et des attentats de Dêvadatta n’est pas une raison suffisante pour que nous accordions à l’incriminé le bénéfice du doute ; mais il n’est pas non plus nécessaire à l’authenticité du prodige communément choisi pour être le « clou » du pèlerinage de Râdjagriha que Dêvadatta ait trempé dans l’affaire. Ce peut être par simple accident que le Bouddha se soit un jour rencontré nez à nez dans la grand-rue de la capitale avec un éléphant en fureur et ait miraculeusement échappé à la mort. Les textes les plus anciens conviennent que Nâlâguiri était de son naturel « méchant et tueur d’hommes[2] ». Et n’allez pas là-dessus crier à l’invraisemblance : on nous a montré dans un temple de l’Inde du Sud un éléphant attaché au sanctuaire et dont on citait avec respect le nombre impressionnant d’hommes qu’il avait déjà occis. L’idée ne venait à personne de se défaire d’une bête aussi dangereuse : il faisait trop bel effet dans les processions ! Que Dêvadatta ait joué de son crédit auprès du jeune roi pour persuader au cornac de Nâlâguiri de le lâcher contre le Bienheureux à l’heure de sa quête, la chose n’est pas impossible ; les textes tardifs veulent même qu’à l’instigation du traître, les gens des étables royales aient tout exprès enivré l’animal. Que ce soit sous l’influence de l’alcool, du rut ou de son mauvais naturel, tout ce qui importe est que l’énorme pachyderme, « trompe érigée, oreilles dressées, queue raidie », se lance au rapide galop de sa lourde masse à travers les rues de la cité. Tout fuit et se cache devant lui. Seul le Bouddha reste impassible et refuse de chercher un asile dans quelque maison proche : et c’est alors que le miracle se pro-

  1. Cf. supra p. 280.
  2. Nalagiri (appelé aussi Dhanapâla) est dit caṇḍo manussa-ghâtako.