Page:Foucher - La Vie du Bouddha, 1949.djvu/296

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imagiers, justement confiants dans leur talent d’animaliers, traitaient plus volontiers des thèmes de ce genre. On conçoit donc fort bien que, d’accord entre donateurs et artistes, deux panneaux sur huit aient été finalement réservés dans les représentations des huit miracles aux hauts faits d’un éléphant et d’un singe, et que les couvents des deux grandes cités orientales aient tiré localement bon revenu de ces deux contes. Il n’en reste pas moins permis de se demander ce qu’en pensaient les intellectuels de la secte et les pèlerins étrangers. D’une façon générale il semble que la Subjugation de l’éléphant furieux leur ait paru mériter sa renommée : n’illustrait-elle pas de façon éclatante la toute-puissante influence qui était censée irradier de la personne du Bienheureux ? En revanche l’Offrande du singe, où le Maître ne tenait qu’un rôle passif, ne leur a jamais inspiré qu’un intérêt des plus minces. Le mutisme des hagiographes, de même que le silence de Fa-hien, ne manque pas d’éloquence sur ce point. À la vérité, tout en nous avertissant qu’aux abords de Vaïçâlî les « sacrés vestiges » étaient trop nombreux pour qu’on puisse songer à en donner une énumération complète, Hiuan-tsang ne manque pas de mentionner dans le tas l’étang sanctifié par la charité simiesque, mais il ne le met nullement en vedette. Au siècle suivant un document explicite vient enfin confirmer notre méfiance en nous apportant la preuve qu’à côté de la liste des huit sanctuaires standardisée par la dévotion et l’imagerie populaires, il en existait une, sinon même plus d’une autre à l’usage des penseurs. En 764 de notre ère un voyageur chinois nommé Wou-k’ong, attaché à une mission diplomatique, s’étant converti dans l’Inde au bouddhisme, entra dans l’Ordre et se fit un devoir d’accomplir à son tour les « huit pèlerinages » : or il ne mentionne dans sa relation ni le singe charitable ni même l’éléphant furieux. Esprit peu cultivé mais profondément sérieux, il ne s’est arrêté ni à l’une ni à l’autre de ces fables enfantines. Ce qu’il a préféré retenir de sa visite à Râdjagriha, c’est avant tout le fait (d’ailleurs apocryphe) de la prédication par le Maître sur le Pic-des-Vautours du célèbre « Lotus de la Bonne Loi » ; et ce qui lui a paru le plus digne de commémoration à Vaïçâlî, c’est le « Rejet de la Vie » prélude du Parinirvâna. Comme nous allons avoir dans un instant à conter cet émouvant épisode, le lecteur jugera bientôt, ou nous nous trompons fort, que la ferveur du bon pèlerin aurait pu plus mal choisir[1].


  1. La relation de Wou-k’ong a été trad. par Éd. Chavannes et Sylvain Lévi dans le JA (sept.-oct. 1895 p. 358 s.). On sait que le Saddharma-puṇḍarika-sûtra ou « Lotus de la Bonne-Loi » (trad. par Eug. Burnouf et H. Kern) est un texte mahâyânique bien postérieur au Buddha. Dans sa révérence pour ces nouveaux textes Wou-k’ong commémore également à Çrâvastî, au lieu du grand prodige magique, le sûtra de la Mahâ-prajñâ-pâramitâ. L’hymne aux huit grands sanctuaires, traduit par Fa-t’ien entre 982 et 1001, retient de même à Râjagṛha « l’enseignement » et à Vaiçâlî « l’annonce de la mort ». V. Sylvain Lévi Une poésie inconnue du roi Harsha Çîlâditya dans Actes du Xe Congrès international des Orientalistes, Session de Genève 1894 IIe section I p. 190 ou Mémorial p. 245.