Page:Foucher - La Vie du Bouddha, 1949.djvu/295

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’il fait fort civilement sur les anciens bas-reliefs. Mais comment nos incorrigibles cicérones se seraient-ils tenus quittes envers lui pour si peu ? Tantôt les folles gambades auxquelles se livre dans l’excès de son allégresse « l’animal des branches » le font tomber et périr dans une fosse : c’est la version recueillie par Hiuan-tsang à Mathourâ. Tantôt c’est volontairement qu’il se noie, et c’est pourquoi nous le voyons sur les sculptures tardives du Magadha en train de se précipiter dans un puits. Accident opportun ou pieux suicide, il s’agit de lui faire recueillir au plus tôt (comme tout à l’heure à l’éléphant Nâlâguiri), grâce à une heureuse renaissance, le fruit de sa bonne action. Mais ce dénouement trop prévu d’avance ne saurait étancher la soif d’édification des pèlerins : il faut encore inventer quelque merveille accessoire. La trouvaille de Mathourâ consistait à prétendre que le contenu de l’unique bol-à-aumônes offert par le singe, indéfiniment étendu d’eau sans rien perdre pour autant de sa saveur, avait suffi à désaltérer, outre le Bouddha, la Communauté tout entière[1]. À Vaïçâlî il semble que l’imagination des moines ait été aiguillée sur une autre piste par les fabricants d’images. Conteurs par métier d’histoires sans paroles, ceux-ci n’hésitaient pas plus que les artistes qui ciselèrent les retables de notre Moyen Âge à répéter le même personnage autant de fois qu’il était nécessaire pour l’intelligence des divers épisodes réunis en un même tableau[2]. À Sâñchî comme au Gandhâra nous n’apercevons que deux fois le singe, d’abord faisant son offrande, puis prenant congé ; miniatures et sculptures tardives nous le montrent encore grimpant à l’arbre, gambadant, ou en train de se noyer. Est-ce la vue de représentations multipliant ainsi la figure du protagoniste autour de l’immobile Bouddha central qui a conduit les moines de Vaïçâlî à admettre, puis à professer l’existence d’une pluralité de singes ? Il est permis de se le demander. En tout cas, une fois nantis d’une bande de ces animaux, ils ont tenu à employer à fond cette main-d’œuvre gratuite au service du Maître ; et c’est ainsi que l’idée leur est venue de leur faire creuser par-dessus le marché l’étang qui immortalisait le souvenir de leur charité.

Que reste-t-il cependant des deux prodiges de Râdjagriha et de Vaïçâlî, une fois qu’on les a débarrassés de leurs embellissements ? — Deux faits divers, inconcevables hors de l’Inde, mais conçus tout à fait dans le goût indien, et à peine surprenants pour des gens qui, croyant d’enfance à la transmigration des âmes, savaient que « toutes les espèces comptent des individus doués de vertueuses dispositions[3] ». En fait ces deux fables édifiantes où un animal joue le principal rôle ne diffèrent de maintes histoires des « Vies antérieures » qu’en ce qu’elles sont par exception rapportées à l’existence dernière du Bouddha. De là vient leur succès non seulement dans les milieux populaires, mais aussi auprès des corporations artistiques : car les vieux

  1. D’où prétexte à comparaison avec tel miracle chrétien.
  2. Au sujet de ces répétitions de personnages v. AgbG I p. 605-6.
  3. Jât. no 175 st. I.