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deviendra une « métropole[1] » ; et, loin d’être fondée sur des raisons topographiques, sa prédiction lui est inspirée par le fait que son œil divin perçoit la multitude des génies qui hantent ce lieu prédestiné. Notez en passant que ce genre de divination est condamné ailleurs comme une forme de charlatanisme[2] indigne d’un vrai religieux : mais ici il n’importe, car ce qu’il faut obtenir à tout prix est que le fidèle reste bouche bée devant la prescience du Bouddha ; tant pis si les profanes seront plus tard en droit de soupçonner que la prophétie a été consignée par écrit après coup et rabaisseront d’autant la date du texte qui la relate. Voilà pour la ville ; passons aux ministres. Flattés de l’éloge adressé par Çâkya-mouni à leur perspicacité (il va jusqu’à dire qu’ils sont dans le secret des dieux pour avoir si bien choisi le site de leur nouvelle ville), ils ne peuvent moins faire que de l’inviter à dîner, lui et sa compagnie, et de décréter officiellement que la porte de la ville conduisant au Gange portera désormais le nom de « Porte de Gotama ». Enfin, tandis que chacun s’affaire à réunir des barques pour assurer le passage du Maître et de ses moines, on lui prête à nouveau, mais cette fois sans prétexte aucun, le miracle auquel il était censé avoir eu recours au temps de sa lointaine jeunesse, quand le passeur lui avait refusé l’accès de son bac : il disparaît de la rive droite du fleuve pour reparaître instantanément sur la rive gauche, lui et toute sa suite[3]. La vraisemblance achève d’être mise en déroute, mais l’édification est sauve ; et pour beaucoup là est l’essentiel.

Le rejet de la vie à Vaïçâlî. — Ne nous laissons pas arrêter par tant de billevesées et de redites : encore deux étapes et deux homélies, et nous arrivons à Vaïçâlî. Il va de soi que la réédition in extenso des visites et des donations de la courtisane Amrapâlî et des seigneurs Litchavis ne nous est pas épargnée[4] : mais voici enfin un peu d’inédit. La saison-des-pluies est proche ; le Bouddha recommande à ses moines de se disperser dans tous les villages des environs, au gré des amis et connaissances qu’ils y possèdent, afin d’y passer leur période annuelle de retraite[5] : lui-même choisit comme résidence le village de Belouva[6] :

Et chez le Bienheureux, quand il fut entré en retraite, une grande maladie se déclara, accompagnée de fortes, de mortelles douleurs : et lui, dans le recueillement de son âme, les supporta sans se plaindre. Et il pensa : « Il ne serait vraiment pas bien de ma part que je m’éteigne sans avoir parlé à mes disciples ni pris congé de la Communauté. Allons, il me faut virilement dompter cette maladie et par un sursaut de volonté vivre ce qui me reste de vie. » C’est ce qu’il fit, et la maladie se calma. Et dès qu’il fut convalescent le Bienheureux se leva, sortit de sa demeure et s’assit à l’ombre de celle-ci sur le siège préparé pour lui. Et le révérend Ânanda s’approcha de lui et, après l’avoir salué, s’assit à ses côtés : « Je vois, lui dit-il, Seigneur, que le Bienheureux est en voie de rétablissement. Bien que, du fait de la maladie du Bienheureux, mon corps fût comme défaillant et ma vue brouillée et obscurcie, néanmoins je trouvais quelque réconfort dans la pensée que le Bienheureux ne s’éteindrait pas sans avoir laissé ses instructions au sujet de la Communauté. — Que veut donc encore de moi la

  1. En pâli agga-nagara.
  2. Cf. Dial. I p. 18 (no 17) et II p. 92 n. 2.
  3. Le miracle s’étend aussi à tout le cortège du Buddha dans BC tib. xxii 9. Cf. supra p. 195.
  4. Cf. supra p. 290.
  5. La tradition tibétaine (Life p. 130) croit devoir expliquer cette recommandation du Buddha par le fait qu’une famine, ce mal endémique de l’Inde, désolait le pays ; mais en fait cette dispersion était de règle pour alléger en la distribuant entre un plus grand nombre de fidèles la charge des laïques qui devaient, jour après jour, nourrir les moines, pendant leur retraite sédentaire.
  6. Encore un village qui tire son nom du bilva (Ægle marmelos) ; le BC tib. xxiii 62 l’appelle Veṇumatî.