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forgeron lui-même[1]. Celui-ci s’empresse, ainsi qu’il se doit, d’inviter à dîner pour le lendemain le Bouddha et sa congrégation ; mais il a la fâcheuse idée de leur faire préparer, comme plat de résistance, de la viande de porc. Ce mets provoque chez Çâkya-mouni une « diarrhée sanguinolente[2] », apparemment une rechute de la maladie dont il se relevait à peine. Le Bienheureux supporte avec sa force d’âme coutumière cette nouvelle et non moins douloureuse attaque : mais ses forces affaiblies ne lui permettront pas d’y résister. Tel est du moins le souvenir aussi précis que peu glorieux qu’au temps où le Bouddha n’était encore pour ses contemporains qu’un homme sujet aux infirmités humaines, le témoignage de ses compagnons imposa à la tradition de sa Communauté : le Bienheureux, le Prédestiné, le Parfait est misérablement mort dans une bourgade obscure d’une crise de dysenterie consécutive à une indigestion de porc. Quelle dégradation pour l’Être sublime qu’un siècle ou deux plus tard ses fidèles auraient volontiers exempté de toutes les nécessités naturelles ! Mais aussi quelle garantie d’authenticité pour un trait que la légende aurait eu tant d’intérêt à taire ou à déguiser !

Comme bien on pense, les générations postérieures ne devaient pas tarder à s’insurger contre un aveu aussi dépouillé d’artifice et qui, à mesure que l’Inde devenait de plus en plus strictement végétarienne, prêtait davantage le flanc aux critiques adverses. Dans le texte que nous suivons chapitre par chapitre leur réaction ne se manifeste qu’assez timidement, bien qu’à deux reprises différentes. Rien n’échappe, comme chacun sait, à la pénétration du Bienheureux et sa bienveillance s’étend sur tous les êtres : aussi à peine est-il assis chez Tchounda qu’il le prie de ne servir de porc qu’à lui seul et d’offrir d’autres aliments à ses moines ; et, à l’issue du repas, il recommande également à son hôte du jour d’enterrer au plus vite ce qui reste de viande, car il n’aperçoit dans tout l’univers personne, ni homme ni dieu, qui puisse digérer cette nourriture après l’avoir absorbée — à l’exception du Prédestiné, ajoute niaisement le scribe, oubliant que le Prédestiné lui-même n’a pas été capable de l’assimiler[3]. La seconde réflexion faite après coup procède de la même inspiration, mais est d’une rédaction plus heureuse. Le Bouddha prévoit que l’on fera reproche au pieux forgeron d’avoir été la cause de sa mort ; et, comme il sait que ses intentions étaient pures, il le prend en pitié et charge Ânanda d’un message réconfortant pour lui : « Il y a deux offrandes de nourriture de mérite égal, de fructuosité égale, plus méritoires et plus fructueuses qu’aucune autre : ce sont celle qu’après avoir mangée le Prédestiné s’illumine de la suprême et parfaite Illumination, et celle qu’après avoir mangée le Prédestiné trépasse de l’absolu Trépas… » Et ainsi Tchounda n’a à concevoir ni remords du passé ni crainte pour ses vies futures[4].

Notre source en reste là ; et les textes postérieurs ne font que renchérir dans le même sens. Ce qu’ils ont surtout retenu, c’est

  1. La Vie en fait un orfèvre, ce qui est mieux porté.
  2. Pâli lohitapakkhandika.
  3. Dial. II p. 138 et 147-8.
  4. Cf. Manual p. 357-8 et Vie p. 275 s.