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tié à l’expédient dont on s’était tardivement avisé pour rejeter sur autrui la responsabilité du Parinirvâna du Maître[1]. Alors que le Bouddha, en parvenant à la Clairvoyance, avait du même coup extirpé de sa personne toute racine de renaissance future, il n’était guère nécessaire que pour terminer sa carrière il fit à nouveau craquer l’armature de l’univers « comme l’oiseau brise la coquille de l’œuf ». N’a-t-il pas lui-même déclaré que le sort nous condamne à la séparation d’avec tout ce que nous aimons ? Bien mieux, dès la ligne suivante, n’est-il pas le premier à rappeler à Ânanda en guise de consolation (de même qu’il le fera encore plus tard sur son lit de mort) cette fatalité inéluctable ? Et la première phrase du sermon qu’il adresse, aussitôt après, à ses moines spécialement réunis pour la circonstance, n’est-elle pas pour leur répéter que tout ce qui existe doit périr ? Évidemment les fidèles se rendaient compte que le touchant épisode du « Rejet de la vie » n’était en somme qu’un jeu d’imagination à l’intention des âmes sensibles et avides de pathétique : il contredisait trop manifestement le premier article de leur foi. Mais quoi ! Les gens d’esprit sont, dit-on, prêts à tout sacrifier, même une vieille amitié, pour ne pas perdre un bon mot : pour se procurer une douce émotion, un cœur dévot ne recule pas davantage devant un soupçon d’hérésie.

Le dernier repas à Pâvâ. — Ce qui achève de démontrer que nous avons affaire à une scène interpolée, c’est qu’après nous ne sommes guère plus avancés qu’avant. Toutefois le sort en est à présent jeté et le Bouddha, à peine remis de sa maladie, quitte l’hospitalière et plaisante cité des Litchavis. À peine hors des murs, il se retourne pour jeter un regard en arrière : « C’est la dernière fois, ô Ânanda, que le Prédestiné contemple Vaïçâlî : il n’y reviendra plus jamais. » Ces simples paroles déclenchent un attendrissement universel. Au grand étonnement d’Ânanda, de larges gouttes d’eau tombent d’un ciel sans nuage ; et il faut que le Bouddha explique à son disciple que ce sont les pleurs que versent au firmament les divinités locales, affligées de l’imminente et définitive séparation. Plus tard on montrera à Hiuan-tsang, « à 50 ou 60 li au Nord-Ouest de la cité », la place jusqu’où les habitants, sortis en masse à la suite du Prédestiné, lui avaient fait la conduite : encore avait-il fallu, pour décider leur foule gémissante à s’en retourner chez elle, qu’il créât par magie devant leurs pas une rivière infranchissable[2]. Et voici que recommence le monotone déroulement des étapes — monotone pour le lecteur, cela s’entend ; car, pour le chemineau, religieux ou non, c’est une source continuelle de distractions variées. La sixième marche amène sans encombres le Bouddha et son cortège à la petite ville de Pâvâ, celle-là même où son grand rival, le Djina, devait mourir quelques années plus tard. La bande pieuse s’installe pour la nuit dans le verger de manguiers de Tchounda, « le fils du forgeron » — et, par conséquent, selon la coutume des castes indiennes,

  1. On remarquera que le BC ne fait allusion nulle part à une « faute » d’Ânanda (XXIII 64 s.) et que le parinirvâna de ce dernier est entouré d’une pompe exceptionnelle (AgbG fig. 444).
  2. DA p. 200 ; Hiuan-tsang J I p. 396 ; B II p. 73 ; W II p. 68. La « Biographie » (J p. 135-6 ; B p. 100) mentionne aussi le stûpa commémoratif du dernier « Regard en arrière ».