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d’un bouddhiste : il ne pourra jamais comprendre la valeur religieuse que vous y attachez. Non qu’il se refuse à y croire ; tout au contraire, ce n’est pour lui que monnaie courante : tous les êtres, tant qu’ils sont, ne sont-ils pas des réincarnés ? Ce prodige qui plonge le chrétien dans un abîme de pieuse stupeur n’a pour lui rien de surprenant, rien qui sorte du train ordinaire des choses. Et ainsi vous constatez d’emblée, par un frappant exemple, que les deux religions ne se meuvent pas sur le même plan, et que les mêmes paroles, selon l’ambiance dans laquelle on les prononce, peuvent avoir des portées bien différentes.

Que ne devrait en effet apprendre, ou désapprendre, quiconque voudrait, n’étant pas né Indien, pénétrer dans l’intimité des idées indiennes ! Qu’est-ce, pour commencer, que le ciel des dieux Toushitas, c’est-à-dire « Satisfaits » ? — On nous répond que c’est le quatrième ciel, car il faut savoir que les cieux, comme les enfers, s’étagent, les uns en montant vers le zénith, les autres en s’enfonçant vers le nadir[1]. Pour ne parler que des premiers, juste par delà notre atmosphère, les quatre Loka-pâlas ou Gardiens du Monde ont chacun sous leur juridiction l’un des quatre points cardinaux. Au-dessus se superposent le paradis sur lequel règne Indra, puis celui qui est le domaine de Yama ; mais aucun de ces divins séjours, hantés qu’ils sont par les bayadères célestes, n’a paru suffisamment chaste pour y loger le Bodhisattva. On l’a donc installé au quatrième étage, celui qu’habitent les dieux qui, comme leur nom l’indique, trouvant toute satisfaction en eux-mêmes, peuvent se permettre d’être exempts de vulgaires désirs[2]. À dire vrai, le premier bloc ou groupe de cieux, appartenant encore aux « mondes sensibles », comporte deux degrés de plus ; et, par-dessus ce groupe de six, les deux autres sphères, celle des simples Apparences et celle des Invisibilités, portent à vingt-sept le nombre des étages de cet idéal gratte-ciel. D’autre part nul ne s’avisera de contester que les mérites accumulés par Çvêta-kêtou au cours de sa pratique des dix perfections ne lui eussent permis de renaître plus haut encore qu’il ne l’a fait : et sans doute se serait-il élevé davantage dans la céleste hiérarchie s’il ne s’était dès longtemps proposé, et ne s’était déjà vu prédire à plusieurs reprises le rang et le rôle d’un Sauveur du monde. N’eût-il songé qu’à son propre salut, ou bien il se serait depuis longtemps « éteint », ou bien il serait finalement rené dans l’un des cieux supérieurs, dans ces « Purs Séjours[3] » où se retirent volontiers, disant un définitif adieu à l’humanité, les êtres « qui ne reviennent pas » ; car là-haut ils atteignent directement la sainteté et, par elle, le Nirvâna[4]. Mais c’est un dogme bouddhique que seul un homme né d’une femme peut devenir ce « premier des êtres », supérieur même aux dieux, qu’est un Bouddha parfaitement accompli ; et c’est pourquoi le Bodhisattva n’a pas voulu trop s’éloigner de cette terre où il savait devoir une dernière fois descendre. Qu’avez-vous à redire à cela ?

  1. Sur la cosmologie bouddhique v. BPh p. 60 s. et cf. l’image tibétaine dans L. A. Waddell Lamaism p. 78 ; les six premiers étages du ciel sont figurés à Sâñchi pl. 49.
  2. Selon certains dans le ciel des Tushita les manifestations amoureuses se bornent à des serrements de main (BPh p. 79), mais d’autres le contestent, car ce ciel fait partie du Kâma-dhâtu ou Monde des désirs (cf. Abhidharmakoça de Vasubandhu trad. L. de la Vallée Poussin, troisième chapitre p. 164-5).
  3. Les Çuddha-âvâsa sont dans le LV et le MVU un nom générique des dieux supérieurs.
  4. Il faut savoir que les fidèles bouddhistes se répartissent entre quatre catégories selon leur degré d’avancement sur la voie du salut : 1o les nouveaux convertis qui viennent seulement « d’entrer dans le courant » (çrota-âpanna ou sota-âpanna) ; 2o les sakṛdâgâmin ou sakad-âgâmin « qui ne reviendront plus qu’une fois sur la terre » ; 3o les an-âgâmin « qui n’y reviendront plus du tout » et 4o les arhat « les dignes », c.-à-d. les saints qui entreront directement dans le nirvâṇa.