Page:Foucher - La Vie du Bouddha, 1949.djvu/322

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qu’elle fût, ne pouvait être indéfinie, on dut se contenter de reliques spirituelles, c’est-à-dire de fragments de la Bonne-Loi inscrits sur des feuilles de palmier, sur écorce de bouleau ou sur boulettes d’argile ; mais la sorte la plus vénérable et vénérée était naturellement les « corporelles ». Or il est écrit que le corps du Bienheureux fut intégralement consumé à l’exception des ossements, « sans laisser ni cendre ni noir de fumée ». Seuls deux des mille linceuls, le plus intérieur et le plus extérieur, demeurèrent (par miracle !) intacts[1] : par ailleurs on ne retrouva sans doute que les débris du squelette qui, de notoriété publique, résistent le mieux à l’action du feu, notamment les os du crâne et les dents[2]. La première idée prêtée aux Mallas est naturellement de thésauriser comme un porte-bonheur l’aubaine que le sort leur a dévolue. Au lieu de jeter ces restes au fleuve le plus proche, ainsi qu’il est d’usage pour les simples mortels, ils les transportent processionnellement dans leur « Chambre-de-réunion » (ou, comme nous dirions, dans leur hôtel de ville) et là danses, chants et musique recommencent de plus belle en leur honneur.

C’est là que les bas-reliefs nous montrent les Reliques déposées sur un trône drapé et recouvertes d’un dais d’étoffe en forme de cloche, que surmonte un royal parasol ; mais déjà guerriers ou guerrières, appuyés sur leur lance, montent la garde près d’elles ou aux portes de la cité[3]. Notre texte va plus loin et veut que les Mallas aient abrité leur trésor dans une cage de javelots et derrière un rempart d’arcs. C’est qu’ils se doutent déjà de ce qui va suivre. Le nouvelle ne tardera pas en effet à se répandre : « Et le roi du Magadha, Adjâtasattou, le fils de l’infante de Vidêha, apprit que le Bouddha s’était éteint à Kousinârâ ; et il députa un envoyé aux Mallas pour leur dire : Le Bienheureux était de caste royale, je le suis aussi ; moi aussi je suis digne d’avoir une part des reliques corporelles du Bienheureux, et moi aussi je leur élèverai un tumulus et j’instituerai (en leur honneur) une fête ». Tour à tour six chefs de clan du voisinage, les Litchavis de Vaïçâlî, les Çâkyas de Kapilavastou (ressuscités pour la circonstance), les Boulis d’Allakappa, les Kolis de Râmagrâma, le Brahmane de Vishnoudvîpa et les Mallas de Pâvâ, à l’ouïe de la mort du Bouddha, formulent la même demande à peu près dans les mêmes termes[4]. Ainsi sollicités de toutes parts, les notables de Kouçinagara convoquent l’assemblée du peuple, et décident : « Le Bienheureux est mort sur notre territoire : nous ne partagerons pas ses reliques ». Mais alors les requêtes se transforment en sommations et, pour appuyer leurs revendications, les sept prétendants, pareils aux Sept devant Thèbes, viennent avec leurs armées mettre le siège devant Kouçinagara. Un linteau de la Porte Sud de Sâñchî dépeint admirablement cette scène. Déjà les assaillants sont prêts à en venir aux mains avec les guerriers qui garnissent les remparts de la ville. Les mauvais instincts d’avarice et de con-

  1. Nous croyons avec J. Przyluski JA 1918 p. 515 que la négation est tombée dans le texte pâli qui dit le contraire de tous les autres.
  2. De fait on nous parle de sommet du crâne, de clavicules et surtout de dents — la plus célèbre de celles-ci étant censée conservée à Kandy (Ceylan).
  3. Cf. AgbG fig. 288-201.
  4. Les termes diffèrent dans le cas des Çâkyas qui invoquent leur parenté avec le défunt, et du dynaste de Vishṇu-dvipa (p. Veṭḥa-dîpa) qui est brahmane.