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voitise vont-ils l’emporter une fois de plus et, par une amère ironie, faire que les gens s’égorgent pour l’amour de l’apôtre de la paix ? Ce scandale est heureusement épargné à l’histoire : la raison prévaut par la bouche du sage brahmane Drona[1] et, d’un commun accord, on s’en remet pacifiquement à lui du soin de partager les reliques en huit parties égales. On lui abandonne même, en récompense de son heureuse intervention, l’urne funéraire qu’il vient de vider ; et quand les Mauryas de Pippalîvana arrivent trop tard pour participer au partage, ils doivent se contenter de la braise du bûcher. Tout semblait donc arrangé pour le mieux et une fois pour toutes ; mais un temps vint où l’on s’avisa avec horreur que l’on avait oublié dans la distribution de satisfaire les vœux qu’avaient dû immanquablement formuler les dieux et les génies. Tant bien que mal on répara cette omission en feignant de se souvenir que les reliques avaient d’abord été divisées en trois portions, dont une seule était échue aux hommes. Par mesure de compensation, les restes du Bienheureux furent alors censés avoir rempli non moins de huit boisseaux, chacun d’une contenance d’un millier de poignées ; et ainsi il y en eut pour tout le monde.

Mais revenons à notre plus ancienne version tant écrite que figurée. Le partage des reliques en huit parts est représenté sur les vieux monuments, et l’on y voit aussi les sept prétendants remporter triomphalement leurs lots dans une cassette cérémonieusement placée sur la tête de leur éléphant de parade[2]. Où courent-ils ainsi ? Remplir la prescription qu’on a eu soin de placer dans la bouche du Bouddha mourant : « Ainsi qu’on traite les restes d’un Monarque universel, ainsi l’on doit traiter ceux d’un Prédestiné. Qu’à un grand carrefour on élève un tumulus au Prédestiné ; ceux qui lui offriront guirlandes, parfums ou badigeons, ou qui le salueront, ou qui se recueilleront devant lui, pour ceux-là il y aura profit et bonheur de longue durée[3]… » Nous rencontrons ainsi jusqu’au terme de la carrière du Maître l’assimilation que dès sa Nativité l’on prétendait établir entre le plus puissant des Monarques et le plus éclairé des Clairvoyants. Du même coup nous tenons les origines de ce culte du stoupa qui, bien qu’il n’ait jamais été dans l’Inde le monopole exclusif des bouddhistes, est devenu et demeuré dans toute l’Asie orientale le monument caractéristique de leur foi. On sait les formes variées et les extraordinaires dimensions que revêtent ou atteignent parfois ces curieux mausolées ; anciennement ils ne comportaient qu’un dôme de taille modeste, juché sur une terrasse et abrité d’un parasol, que protégeait une balustrade à une ou quatre entrées chicanées. C’est un édifice de ce genre que les huit copartageants se sont engagés à élever chacun chez eux, en guise de reliquaire, sur le trésor sans prix qu’ils ont conservé ou obtenu ; et (soit dit entre parenthèses) il faut se garder de confondre ces huit stoupa ou tumuli avec les huit tchaïtya ou sanctuaires qui

  1. Ce brahmane doit sans doute son nom au récipient des reliques (droṇa est une mesure de capacité contenant 1 024 mushṭi ou « poignées ») : cf. les vers apocryphes à la fin du MPS.
  2. Sâñchî pl. 15 ; Amarâvatî B pl. 25, 2 (cf. Barhut pl. 12) et F pl. 7.
  3. Dial. II p. 156 et 183.