Page:Foucher - La Vie du Bouddha, 1949.djvu/346

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

roger : de son moi, de ce moi qu’il juge chez tous si haïssable, il ne laisserait rien paraître. Qu’ils fussent insidieux ou sincères, ses interlocuteurs de passage ont pu, comme nous l’avons noté ci-dessus, éprouver les ressources de sa souple dialectique et subir le charme de sa sereine supériorité ; ils n’ont jamais pénétré dans son for intérieur. Les seuls qui l’aient connu ou cru le connaître sont ceux de ses disciples qui ont longuement vécu dans son intimité. Que ne nous ont-ils transmis un portrait d’après nature de leur Maître ! Pour entrevoir du moins l’impression qu’ils avaient gardée de lui — ou du moins celle que les membres de la première Communauté ont longtemps transmise à leurs novices — nous n’avons d’autre ressource que de faire à travers les Écritures ce qu’ils firent eux-mêmes sur le vif et, avec toutes les formes et l’attention requises, de mettre le Bouddha en observation.

Ce ne peut être une pure illusion si, même à ne le regarder ainsi que du dehors, les traits les plus constants de sa personnalité se dessinent à nos yeux dès sa jeunesse. Sa naissance princière, son éducation sportive autant qu’intellectuelle, la vie de luxe et de plaisirs qu’il mène jusqu’à la trentaine campent aussitôt le grand seigneur qu’il restera jusque sous le froc du moine. Sa distinction naturelle impressionne tous ses visiteurs, à commencer par le roi Bimbisâra. Toujours et partout, aurait dit Çâripoutra, il se montre un modèle d’urbanité et de politesse. C’est à sa bonne éducation autant qu’à sa libre intelligence qu’il doit son parfait mépris pour toutes les sottes ou indécentes pratiques courantes chez les sectes religieuses de son temps ; c’est elle qui le rend réfractaire à leurs intrigues et jalousies mesquines ; et c’est encore en elle qu’il puise son constant souci de faire régner le décorum et la propreté physique autant que morale au sein de sa Communauté. Il ne témoigne pas moins d’aversion pour les mauvaises manières que pour les péchés capitaux. Les dernières sections du Formulaire de confession sont un véritable manuel de savoir-vivre à l’usage de ses moines. Tout comme il condamne la luxure, le vol, le mensonge et l’escroquerie à la sainteté, il proscrit toute négligence dans le vêtement et ne dédaigne pas d’interdire de se lécher les doigts en mangeant, de parler la bouche pleine, ou de loucher du côté de l’écuelle de son voisin. Dès le début de sa prédication le Prédestiné nous découvre le genre des préoccupations qui le hanteront jusqu’à la fin. Dans l’énumération qui termine son exposé des Quatre vérités, remarquez l’épithète qu’il applique à chacune des huit branches du chemin de la vertu : doctrine, résolution, parole, action, moyens d’existence, effort, attention, recueillement, tout chez le néophyte doit avant tout être « correct[1] ». Et quand dans son préambule il énonce la détermination, qui restera chez lui dominante, de se tenir en toute circonstance au « juste milieu », comment ne pas reconnaître encore là une manifestation de son sens inné et raffiné des conve-

  1. nil