Page:Foucher - La Vie du Bouddha, 1949.djvu/347

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nances et de la mesure ? Nous pouvons déjà en toute assurance noter ces premières indications.

Ainsi encouragés, continuons à épier les dits et gestes de ce singulier religieux : nous nous apercevons qu’il ne ressemble décidément qu’à lui-même. Complètement détaché du monde, il l’est sans doute ; mais il ne le fuit pas systématiquement, et consent à dîner en ville. Bien mieux, loin de songer uniquement à son propre salut, il se croit des devoirs envers son prochain et met sa prédication quotidienne à la disposition de qui veut l’entendre. Le nombre des audiences que chaque jour il accorde ne se compte plus : infatigablement il promène de ville en village à travers l’immense plaine indienne l’enseignement des vérités qu’il a été le premier à découvrir ; et autant que par sa voix il prêche par son exemple. Entre temps il accepte ou conquiert toujours plus de disciples, et constamment il veille à faire régner la discipline au sein de son troupeau. Sans cesse il lui faut rappeler ses moines à la décence et à la concorde, et les mettre en garde contre les tentations. Ce n’était certes pas une sinécure, et il se trouvera des moines tardivement entrés dans l’Ordre pour grommeler et se plaindre que sa vigilance ne laisse pas échapper la moindre peccadille[1]. Quand quelque riche propriétaire foncier lui fait reproche de manger alors qu’il ne laboure ni ne sème, il peut en toute tranquillité de conscience lui répondre que lui aussi a son labeur de tous les instants[2]. Il mourra d’ailleurs à la tâche ; sur son lit de mort deux de ses dernières injonctions auront pour objet, l’une de régler une question d’étiquette entre confrères, l’autre de mettre en quarantaine une brebis galeuse : tant son métier de directeur de consciences lui tient à cœur[3]. Il ne se permet qu’à de rares intervalles et pour de courtes périodes le loisir et les pures délices de la méditation solitaire. Nous l’avons vu après son évasion nocturne de sa ville natale, se comporter comme devait le faire plus tard Ignace de Loyola ; mais tandis que l’hidalgo va se mettre à l’école des théologiens orthodoxes, c’est vers les Docteurs rebelles à la Révélation védique que se tourne le kshatriya : il n’en est que plus curieux de constater que l’un comme l’autre croit devoir fonder, au lieu d’un Ordre contemplatif, une sorte de milice à laquelle ils laissent pour instructions de demeurer toujours militante. Loin d’autoriser ses moines à mener une vie oisive, le Prédestiné leur impose comme tâche d’étudier et de prêcher la bonne parole pour l’édification et le salut de leur prochain. On dirait qu’il prend souci de justifier leur mendicité forcée par l’utilité de leur rôle social. Sur ce point encore, et qui est d’importance, aucun doute n’est permis. Le religieux Gaoutama a pu pendant quelques années se croire l’étoffe d’un ermite : il n’a pas tardé à se réveiller de ce rêve et il est resté jusqu’au bout de sa carrière, constamment sur la brèche, le plus occupé des hommes d’action.

Regardons-le en effet gouverner cette Communauté que sa

  1. Supra p. 264.
  2. SN i 4 et cf. Manual p. 220.
  3. MPS (Dial. p. 171-2).