Page:Foucher - La Vie du Bouddha, 1949.djvu/48

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laire de l’Inde, qui, comme son nom l’indique, sort d’une canne à sucre, etc. Sur la valeur de cet argument les opinions sont libres ; mais la tentation est trop forte de rapprocher de cette citation une énumération analogue, celle-ci librement traduite du latin : « Est-ce que la Grèce si docte n’a pas imaginé de faire naître Minerve de la tête et Bacchus de la cuisse de Jupiter ? Ne nous raconte-t-on pas que la mère de Platon fut embrassée par le fantôme d’Apollon et que le prince de la sagesse est, lui aussi, né d’une vierge ? Et pour que les Romains ne puissent nous blâmer d’avoir fait naître d’une vierge le Sauveur notre Dieu, est-ce qu’ils ne pensent pas eux-mêmes que les fondateurs de leur ville et de leur race sont des enfants de Mars et de la vierge Ilia ?… » Qui parle ainsi ? Évidemment un apologète chrétien ; et en effet ces lignes sont de st Jérôme. Mais venons aux plus surprenantes : « C’est, continue-t-il, une tradition chez les Gymnosophistes de l’Inde que Bouddha, le fondateur de leur doctrine, serait né d’une vierge et issu de son flanc[1]… »

ILégende bouddhique et tradition chrétienne. — Ainsi donc c’est un Père de l’Église qui, en nous donnant lui-même l’exemple, nous invite à rapprocher la légende du Bouddha de celle du Christ. Nous nous sommes expliqué ci-dessus (p. 20 s.) sur notre répugnance à instituer jusque dans le détail une comparaison d’où ne peut sortir aucune conclusion ferme ; mais il est incontestable que nombre d’analogies auraient déjà pu être relevées au passage. Elles n’auront sûrement pas échappé au lecteur chrétien. Ces apparitions de présages, ces accomplissements de prophéties, ces annonciations, ces vœux de chasteté des époux, ces conceptions immaculées, ces cieux qui s’entr’ouvrent et d’où descendent des légions d’anges ou de dêva-poutra, tout cela évoque des résonances familières ; et quand les arbres du parc de Loumbinî pour fêter la nativité du futur Bouddha se couvrent hors de saison de fleurs instantanées, comment ne pas se souvenir que la nuit de Noël, selon tel évangile apocryphe, les vignes sont sorties de leur torpeur hivernale et ont fleuri d’allégresse sur les collines de Bethléem ? Veut-on des ressemblances encore plus étroites et quasi littérales ? Lisez — le passage en vaut la peine — la description du bonheur qu’apporte à tout l’univers la venue du Prédestiné : « Toute passion, toute haine, tout égarement, tout orgueil, toute tristesse, tout abattement, toute crainte, toute concupiscence, toute jalousie, tout égoïsme disparurent. Toutes les mauvaises actions cessèrent. Les maladies des malades furent guéries ; des affamés et des assoiffés la faim et la soif furent apaisées ; des gens ivres de liqueurs fortes l’ivresse fut dissipée. Les insensés recouvrèrent la raison, les aveugles la vue et les sourds l’ouïe[2]… », etc. Comment, à première audition, ne pas percevoir comme un écho de ces paroles dans tels versets de l’Évangile selon st Mathieu : « Les aveugles recouvrent la vue, les boiteux marchent, les lépreux sont guéris, les sourds entendent… » ? On

  1. St Jérôme, Contre Jovinien : « Traditur quod Buddam, principem dogmatis eorum, e latere suo virgo generârit… ».
  2. LV p. 86 : cf. Mathieu XI 4-6.