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Nous apprenons seulement que la classe continue, et c’est alors que le troisième prodige se produit : « C’est ainsi qu’en compagnie du Bodhisattva ces dix mille petits garçons apprenaient l’écriture ; et tandis que, sous la direction du Bodhisattva, ils épelaient l’alphabet quand ils énonçaient la lettre a, la parole qui était émise, c’était : a-néantissables sont tous les objets. Quand était énoncée la lettre â, la parole, qui était émise, c’était : â-me, ton bien et celui des autres. À la lettre i la parole était : i-nefficacité des sens… », et ainsi de suite pour quarante-cinq des quarante-neuf signes que compte l’alphabet brâhmî[1]. On le voit, la leçon de grammaire se doublait, sous l’influence surnaturelle du Bodhisattva, d’une leçon de morale. Aussi bien était-ce en vue de mûrir la pensée de tous ces enfants et de la tourner vers l’obtention de l’Illumination que le futur Bouddha a bien voulu se rendre à l’école et telle est la force machinale des clichés que, — bien qu’on nous ait dit au début du chapitre que ses condisciples n’étaient qu’au nombre déjà excessif de dix mille — il réussit en fin de compte à en convertir « trente-deux mille » et, par-dessus le marché, « trente-deux mille » filles dont il n’avait été à aucun moment question[2].

Nous voilà copieusement édifiés, si médiocrement divertis ; et pourtant nous ne pouvons douter de la popularité de cette scène. De nombreux bas-reliefs du Gandhâra la représentent et quelques-uns attestent que les artistes, dûment catéchisés par les donateurs, la concevaient telle qu’elle vient d’être exposée. À chaque fois le Bodhisattva est assis au milieu de la composition : il tient dans la main droite son calame et, en travers sur ses genoux, la planchette à écrire qui lui sert d’ardoise[3], toute pareille à celle qu’emploient encore les écoliers indiens. Or sur deux au moins des répliques connues le sculpteur a pris soin de graver à même la tablette quelques lettres — ici dans l’écriture qui, dérivée de l’araméenne des scribes des Achéménides, était restée en usage dans le Nord-Ouest de l’Inde. De quelque façon qu’on lise ces graffiti, ils contiennent une allusion évidente aux maximes morales que, lors de la récitation de chaque signe de l’alphabet, un invisible haut-parleur actionné par le magique pouvoir du Prédestiné, était censé avoir diffusé dans l’ambiance de la classe. Le succès de ces pauvres inventions auprès des fidèles bouddhiques sera notre excuse pour nous y être si longtemps attardés.

Les exercices physiques. — Avec l’évocation des exploits athlétiques du Bodhisattva, le tableau change du tout au tout : mais la monotonie de ses éternels triomphes demeure aussi accablante. Peu nous chaut d’ailleurs pour l’instant, puisque la seule chose que nous voulions retenir ici de nos lectures est le programme de gymnastique que l’Inde ancienne considérait comme faisant partie intégrante de l’éducation d’un gentilhomme. Déjà le court passage du Divyâvadâna que nous venons de citer nous permet de compter au moins quatre sports essentiels, à savoir

  1. Il y a exactement quarante-six de ces sentences morales dites dharma-mukha « introduction à la Loi ». Le texte omet les trois voyelles qui ne se trouvent que rarement ou jamais à l’initiale et l’anunâsika, mais il ajoute la lettre double Ksh.
  2. Cf. supra la note à p. 56, 45.
  3. Ce lipi-phalaka s’appelle à présent takhtî. Cf. AgbG fig. 166-7 et Corpus Inscr. Indic. II part. I, pl. XXIV et p. 130-1. On remarquera la façon dont la tablette est à l’une de ses extrémités taillée en queue d’aronde pour la rendre plus portative.