Page:Foucher - La Vie du Bouddha, 1949.djvu/84

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

femme que sa pareille : sur quoi il ne reste plus qu’à promener l’image modèle à travers le monde pour établir les comparaisons requises[1]. Une feuille de palmier, le papier de ce temps, est d’un transport beaucoup plus commode. Dès qu’il a reçu de son fils cette sorte de fiche signalétique, Çouddhodana fait appeler le prêtre officiant attaché à la famille royale[2], quelque chose comme le chapelain de la cour : c’est à lui en effet que la coutume assignait le rôle d’agent matrimonial, vu qu’un brahmane a partout ses entrées. Le roi lui remet l’écrit du prince en lui disant : « Va, ô grand brahmane, à travers Kapilavastou, la grand-ville, et, pénétrant dans chaque maison, examine les jeunes filles. Celle qui se trouvera posséder ces qualités, qu’elle soit fille de noble ou de brahmane ou de bourgeois ou de manant, fais-la-moi connaître. Et pour quelle raison cela ? C’est que le prince ne se soucie ni de race ni de famille, il ne se soucie que de qualités… » Ne manquons pas de relever ce dédain bien bouddhique (mais qui ne se réalisait en fait qu’à l’intérieur de la Communauté) pour les distinctions de castes. Aussi bien notre auteur oublie-t-il — nous savons qu’il n’est pas à une contradiction près — qu’une page plus haut, dans son factum en vers, Siddhârtha avait stipulé chez sa future épouse « une parfaite pureté de naissance, de famille et de lignée[3] ». De toutes façons le pieux entremetteur n’a pas à pousser bien loin sa tournée : il a vite fait de trouver dans Gopâ, la fille du noble Çâkya Dandapâni, la vivante réalisation de l’idéal féminin du prince[4]. C’est du moins ce que Gopâ elle-même lui assure avec un sourire dès qu’elle a pris connaissance de la description écrite — preuve qu’elle sait lire. Le brahmane l’en croit sur parole et rapporte au roi qu’il a découvert la jeune fille répondant de tout point aux desiderata de son fils. Le rideau tombe sur le premier acte.

Quand à la ligne suivante il se relève, nous nous apercevons que nous ne sommes pas plus avancés. Moins crédule que son chapelain, Çouddhodana n’est pas aussi certain que lui qu’il ait vraiment mis la main sur la fiancée rêvée : « car les femmes sont promptes à s’attribuer des qualités qu’elles ne possèdent pas ». Il s’avise donc d’un autre stratagème pour s’assurer à l’avance du consentement de son fils, et nous repartons pour une seconde version des accordailles — la même, notons-le en passant, que nous lisons dans le Mahâvastou qui, lui, appelle la fiancée Yaçodharâ et en fait la fille du noble Çâkya Mahânâman. L’Inde n’ignorait pas qu’un des privilèges des héroïnes épiques est de se choisir elles-mêmes un époux parmi la foule des prétendants : dans le cas d’un être aussi exceptionnel que le Bodhisattva les hagiographes n’hésitent pas à renverser les rôles et à organiser pour lui un « choix personnel[5] » à rebours. Le roi fait donc fabriquer nombre de parures et annoncer à son de tambour à travers sa capitale que dans sept jours le prince héritier donnera audience[6] et, à cette occasion, distribuera des bijoux aux jeunes filles Çâ-

  1. V. l’histoire de Mahâ-kâcyapa (ANS p. 317 ; cf. supra p. 227 s.) et Kusa-jâtaka no 531, et cf. Béfeo IX, 1909 p. 17.
  2. Le terme technique est puro-hita.
  3. LV p. 38 l. 10 ; le mot que nous traduisons ici par « lignée » est gotra, pris dans le sens spécial d’un des 49 clans entre lesquels se subdivise la caste brahmanique. Les non-brahmanes appartiennent médiatement, si l’on peut ainsi dire, au gotra de leur précepteur ou chapelain ; c’est ainsi qu’en religion Siddhârtha prendra le nom de Gautama et sa mère adoptive Mahâ-Prajâpatî celui de Gautamî.
  4. MVU II p. 48 et pour la suite p. 72-6.
  5. Le terme technique est svayaṃ-vara.
  6. On dirait aujourd’hui : « tiendra un darbar ».