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kyas. Il n’en faut pas davantage pour que toutes se pressent au rendez-vous. À chacune d’elles, à mesure qu’elles défilent devant lui, Siddhârtha remet quelque parure, mais son cœur ne s’arrête sur aucune : et, quant à elles, « incapables qu’elles sont de soutenir l’éclat et la splendeur du Bodhisattva », elles se retirent au plus vite en emportant leur cadeau. Arrive enfin Gopâ avec son cortège de suivantes, et seule elle ose regarder le prince en face sans cligner des yeux[1]. Or le stock de parures se trouvait épuisé : « Quand Gopâ s’approcha du prince elle lui dit avec un visage riant : Prince, que t’ai-je donc fait que tu me dédaignes ? Il dit : Ce n’est pas que je te dédaigne, mais c’est que tu es venue la dernière. Et tirant de son doigt un anneau de grand prix, il le lui offrit. Elle dit : Puis-je vraiment, prince, recevoir de toi ce présent ? Il dit : Ce joyau m’appartient[2], accepte-le. Elle dit : Non, notre dessein n’est pas de dépouiller le prince de ses parures, mais bien de devenir une parure pour lui. Et ayant ainsi parlé, elle sortit. »

Goûtons, comme il convient, ce gracieux marivaudage, oasis de fraîcheur dans un aride désert. Bien entendu le manège des deux jeunes gens n’a pas échappé aux agents secrets apostés tout exprès par Çouddhodana pour surveiller le déroulement de l’audience. Sur leur rapport, le roi est autorisé à croire, et nous avec lui, que l’affaire est réglée. C’est alors que, contre toute attente, elle rebondit à nouveau. Il n’y a qu’un instant c’était à qui parmi les Çâkyas offrirait sa fille au roi pour devenir sa bru. À présent quand Çouddhodana envoie son chapelain chez Dandapâni avec mission de lui demander la main de Gopâ pour le prince héritier, voilà-t-il pas que l’insolent la refuse, en alléguant comme raison la notoire incapacité de Siddhârtha dans tous les exercices du corps ; et en effet personne ne l’a jamais vu les pratiquer… du moins au cours des précédents chapitres du Lalita-vistara. Nous sommes parvenus au moment où l’auteur va tirer parti du subterfuge que nous avons déjà dû dénoncer ci-dessus. S’inspirant à nouveau des épopées indiennes, il organise entre tous les jeunes Çâkyas une sorte de tournoi dont Gopâ sera l’enjeu et où les prouesses du prince, pour être inattendues de tous, n’en seront que plus éclatantes. Telle sera la troisième et dernière version des fiançailles. Après avoir utilisé les bons offices de son chapelain, puis procédé à un choix personnel, il ne reste plus à Siddhârtha d’autre ressource que d’obtenir sa future épouse par droit de conquête : car vous ne doutez pas qu’il ne sorte vainqueur d’un combat dont elle est le prix.

La compétition sportive. — Tout comme le prince, nous n’avons à présent d’autre alternative que d’en passer par où veut notre source. Çouddhodana est extrêmement mortifié, comme de juste, par l’humiliant refus de Dandapâni ; mais au lieu de lui imposer sa volonté comme à un vassal, il ne sait que dévorer son affront en silence. Apparemment il n’était, comme on l’a supposé,

  1. Tout au contraire la Yaçodharâ du MVU n’aborde Siddhârtha qu’avec de grandes démonstrations de pudeur ; et, comme il arrive, sa modestie produit sur l’esprit du prince la même impression favorable que la coquetterie passablement effrontée de la Gopâ du LV.
  2. Entendez que la bague en question est la propriété personnelle du prince et non un de ces « joyaux de la couronne » que (supra p. 115) nous lui verrons renvoyer à la maison après le Grand départ. Pour la scène v. B. Budur fig. 42.