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sera facile, et à varier les circonstances, ce qui le sera moins. En guise de dénoûment, nous ferons après les trois maux apparaître leur unique remède, et le tour sera joué.

Or donc Siddhârtha, seul dans son char avec son cocher, sort par la porte orientale de Kapilavastou pour se rendre à son jardin de plaisance. Bien entendu son père a donné des ordres exprès pour que, tout le long du trajet, comme il sied lors d’une visite officielle, aucun objet déplaisant ne vienne offusquer les yeux du prince : car celui-ci ne doit continuer à connaître que la face riante de la vie. Mais les dieux « des Purs séjours », qui du haut de leur sublime sphère veillent sur la vocation du Prédestiné, déjouent toutes les précautions du roi et de ses ministres. Par leurs soins Siddhârtha se trouve soudain confronté avec un homme blanchi, ridé, édenté, cassé par l’âge et appuyé sur un bâton. Devant ce spectacle encore nouveau pour lui, il s’inquiète et, dans sa candeur naïve, s’informe auprès de son cocher : Qu’est-il arrivé à cet individu ? Son mal lui est-il particulier ou est-il endémique dans sa famille ? Et quand il apprend que tel est le sort commun de tous les hommes et que lui-même n’en sera pas exempt, il renonce malgré les remontrances de son compagnon à aller au parc goûter « les cinq sortes de voluptés » et, faisant retourner son char, rentre dans la ville. La seconde fois la même scène se répète hors de la porte méridionale de la cité devant « un malade amaigri, livide, brûlé de fièvre, râlant, gisant dans ses excréments et tout couvert de mouches » : quiconque n’est pas infirmier de profession pourrait être horrifié à moins. La troisième fois, en sortant par la porte occidentale, le prince rencontre un cortège funèbre, tel qu’on les voit encore aujourd’hui, le mort simplement enveloppé dans son linceul et porté sur une civière, et à sa suite ses parents, pleurant et gémissant, les cheveux épars et se frappant la poitrine. Du coup les plaisirs de la vie achèvent de perdre pour lui toute saveur ; et pour parfaire la conversion qu’ils ont tant à cœur, les dieux n’ont plus qu’à susciter devant lui, au cours d’une quatrième promenade en char, l’apparition d’un moine mendiant, son bol à aumônes à la main, calme, les yeux baissés, la mise décente, témoignant par tout son aspect extérieur de la paix parfaite de son âme[1]. Sa vue console le prince en lui montrant la voie à suivre : il est désormais mûr pour l’entrée en religion.

L’ignorance préalable du Bodhisattva une fois admise, le scénario ne manque, on le voit, ni de gradation dramatique, ni de portée philosophique. Son grand défaut aux yeux des vieux sculpteurs indiens (comme à ceux des modernes cinéastes) est sa monotonie, encore que le lieu et l’occasion soient censés changer à chaque tableau. Aussi n’en avons-nous trouvé d’ancienne représentation figurée que sur la façade de l’hypogée I d’Adjantâ. En revanche ces répétitions ont été les bienvenues pour les décorateurs javanais du Boro-Boudour, toujours à court de motifs pour couvrir les longues surfaces murales de leurs galeries. Elles ne

  1. Le changement de porte à chaque épisode était probablement exploité par quatre couvents différents aux quatre points cardinaux de la banlieue de Kapilavastu.