Page:Foucher - La Vie du Bouddha, 1949.djvu/99

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ravissaient pas moins, à leur habitude, les récitants et les auditeurs de légendes bouddhiques. Telle fut même la popularité de l’épisode qu’il s’est répandu hors de l’Inde[1]. On sait l’usage édifiant qu’en fait le roman de Barlaam et Josaphat ; et le peintre du Campo Santo de Pise s’en est à son tour inspiré sur la célèbre fresque où il met de jeunes cavaliers, dans toute la fleur de leur âge, en présence de cercueils dont le couvercle ôté laisse apercevoir des cadavres. Nous n’aurions donc qu’à enregistrer un succès sur toute la ligne si l’incorrigible rédacteur (ou interpolateur) du Lalita-vistara, en voulant faire mieux que personne, n’avait en ce qui le concerne tout gâté. Dans son chapitre XIV, intitulé « les Songes », il commence par décrire les affreux cauchemars qui font pressentir à Çouddhodana l’imminence de la catastrophe qui menace l’avenir de sa dynastie. Le roi décide donc de tenir plus que jamais son fils enfermé, comme en serre chaude, au milieu des délices de son harem, ce qui ne l’empêche pas d’autoriser aussitôt, et sans barguigner, les Quatre sorties. Mais ceci n’est rien qu’une contradiction de plus : il y a beaucoup plus grave. Oubliant la convention sur laquelle repose tout l’intérêt du morceau, l’auteur ou le scribe n’a pu supporter l’idée que le Bodhisattva, omniscient de naissance, ait reçu la moindre information de la bouche d’un simple domestique. Avant chacune des interrogations du prince, il intercale donc deux petits mots : « Quoique (le) sachant » : et il ne semble pas s’être aperçu que cette courte incise ôte toute espèce de sens à sa pieuse saynète.

L’instigation. — Voilà cependant le Prédestiné pleinement éclairé sur les inéluctables calamités de la vie séculière et l’enviable sérénité de l’état monastique : mais cela ne veut pas dire qu’il ait déjà pris la résolution de renoncer à l’une et d’embrasser l’autre. Comme de la coupe aux lèvres, il y a loin d’une idée à sa réalisation. Pourtant il n’y a plus de temps à perdre si le monde doit être sauvé. Déjà Çouddhodana a commencé les préparatifs du sacre de son héritier présomptif. Dans sept jours (le grand dieu Brahma l’annonce en personne) les « Sept joyaux » feront leur apparition dans le palais du prince ; et, se réveillant Monarque universel, il perdra toute chance de devenir Bouddha. Fatigué d’attendre (car n’oublions pas qu’il approche de la trentaine), le destin aura choisi pour lui entre ses deux possibilités d’avenir. À ce même moment, selon l’un, son fils Râhoula descend du ciel des Toushitas dans le sein de sa mère ; selon l’autre, celle-ci vient même de lui donner le jour[2] : « C’est un lien qui m’est né », déclare Siddhârtha, quand on lui annonce la naissance de son premier et unique enfant, entendant par là que c’est une attache qui vient s’ajouter à toutes celles qui le retiennent dans le siècle. Mais en réalité il n’en est rien : la légende sait fort bien ce qu’elle fait, et Râhoula choisit son temps pour naître beaucoup mieux qu’on ne pourrait croire en entendant le maussade accueil que lui réserve son père. Ce n’est pas une chaîne de plus,

  1. B. Budur fig. 56-9 ; Yun-kang (Éd. Chavannes Mission archéologique dans la Chine septentrionale Paris 1909 pl. 108-110, fig. 207-210, avec le Bodhisattva à cheval) ; G. Ecke et P. Demiéville The twin Pagodas of Zayton pl. 33, 5-6 (première et quatrième sortie avec le Bodhisattva descendu de cheval), etc.
  2. MVU II p. 159 l. 33 NK p. 60 l. 22.