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Page:Fouillée - Nietzsche et l’immoralisme, 2e éd., 1902.djvu/111

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la critique de la morale

la fonction naturelle et normale de la vie semble le cauchemar d’un cerveau malade. Seul le ton apocalyptique de Nietzsche lui permet d’affirmer, sans la moindre preuve, que les bons travaillent à l’annihilation de l’individualité humaine ; en réalité, ce sont « les valeurs » qu’il met en avant, lui, qui sont « nihilistes ». Déchaînez sur la terre humaine l’égoïsme, l’esprit de domination, la volupté, la paresse, l’intempérance, l’orgueil, l’envie, l’avarice, la violence, le viol, la haine, la cruauté, et vous verrez si ces ouvriers cyclopéens bâtiront une tour de Babel capable de dépasser les nues, ou si, au contraire, ils ne feront pas crouler en ruines tout ce que l’humanité avait élevé à force de travail et de dévouement. Prétendre que toute morale, comme telle, rabaisse et affaisse l’homme, — et cela, en le rendant sociable, c’est-à-dire en centuplant ses forces par celles d’autrui, — c’est pousser un peu trop loin le désir de se singulariser. D’ailleurs, que va-t-il faire lui-même, cet « immoraliste », sinon de nous prêcher une nouvelle morale, — nouvelle à ses yeux, veux-je dire ? Une fois mis décote les paradoxes, les figures de rhétorique et les fleurs de poésie, le prétendu immoraliste redeviendra un moraliste, souvent très fin et profond, presque toujours austère, sévère et « dur ». Car il est de ceux qui sont persuadés que « qui aime bien châtie bien ». Ce chantre de la « volupté » a fini par faire, nous l’avons vu, un magnifique éloge de la « souffrance », et l’apparent épicurien s’est métamorphosé en stoïque à l’œil sec. Après avoir déclaré que tout idéal est une chimère antinaturelle et ennemie de la vie, il finira par nous proposer son Surhomme, qui est un homme idéal, plus ou moins bien conçu, mais enfin idéal.