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Page:Fouillée - Nietzsche et l’immoralisme, 2e éd., 1902.djvu/119

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condamnation de la justice

erreur, qui est la cause de l’universelle décadence. Une société déchoit quand elle prend pour principes d’action des valeurs antivitales, c’est-à-dire contraires au sens même de la vie, qui est la recherche insatiable du pouvoir et de la domination. La maladie moderne, le mal des civilisés, selon Nietzsche, c’est l’affaissement et l’impuissance de la volonté. Saint Augustin disait : Aime et fais ce que tu voudras. Zarathoustra, lui, nous dit de vouloir et de faire ce que nous voudrons.

Hélas que ne comprenez-vous ma parole ? Faites toujours ce que vous voudrez, mais soyez d’abord de ceux qui peuvent vouloir !

Aimez toujours votre prochain comme vous-même, — mais soyez d’abord de ceux qui s’aiment eux-mêmes !

— Qui s’aiment avec le grand amour, avec le grand mépris !

Ainsi parle Zarathoustra, l’impie.

Mais pourquoi parler quand personne n’a mes oreilles ? Il est encore une heure trop tôt pour moi[1].

La grande faute de la société moderne, qui a fait de la religion une décadence », de la morale une décadence, de la philosophie une décadence, c’est d’avoir substitué au naturel déploiement de la vie et de la force la recherche artificielle et vaine de la justice pour tous et du bonheur pour tous.

On se rappelle ce sauvage à qui un missionnaire s’efforçait de persuader qu’il ne devait pas manger sa propre femme et qui répondit : — Est-ce que les gros poissons ne mangent pas les petits, est-ce que les forts ne mangent pas les faibles ? — Il invoquait la même leçon de la « nature » que Nietzsche. « Ce n’est, dit celui-ci, que depuis l’institution de la loi qu’il peut être question de justice ou d’injustice… Parler de justice ou d’injustice en soi n’a pas de sens ; une infraction ; une violation, un dépouillement, une destruction en soi ne pouvant évidemment être que quelque chose d’ « injuste », attendu que la vie procède essen-

  1. P. 243.