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Page:Fouillée - Nietzsche et l’immoralisme, 2e éd., 1902.djvu/129

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condamnation de la justice

les autres rapports ; et Nietzsche commet encore ici la confusion banale de la vraie et de la fausse égalité. C’est par l’égalité même des droits qu’on assure la manifestation des inégalités naturelles ou acquises d’intelligence, de travail, de mérite, etc. La justice travaille donc, non à l’opposé de la vie, mais dans le sens de la vie même, en assurant le triomphe des meilleurs intellectuellement et moralement, non des plus forts matériellement.

M. Gumplowicz, avant Nietzsche, avait déjà poussé le darwinisme social jusqu’à l’absurde : après avoir posé (que la sociologie a pour objet les mouvements des groupes humains et leurs influences réciproques, il avait prétendu conclure que le mouvement d’un groupe humain consiste à « s’assujettir d’autres groupes, afin d’améliorer par les services de ceux-ci son propre bien-être ». Tout se ramènerait, selon cette doctrine, aux actions et réactions des groupes conquérants et conquis, que M. Gumplowicz appelle abusivement du nom de races. Il était difficile d’imaginer un système plus unilatéral et, en dernière analyse, plus faux, puisqu’il méconnaissait tous les phénomènes d’attraction et de coopération entre les hommes pour ne voir que la conquête et la réduction en servitude. Nietzsche s’est empressé de reproduire ces théories.

Il prétend, avec Gumplowicz, qu’il y aura toujours lutte entre les hommes et avec subordination des faibles aux forts, parce qu’il y aura toujours entre eux diversité et qu’ils seront toujours autant de « volontés de puissance » distinctes, irréductibles. — Mais, peut-on répondre, la diversité n’est pas nécessairement et ne sera pas toujours l’hostilité Elle est même un moyen de répartir les biens et les trésors, d’empêcher que tous veuillent à la fois la même chose et se la disputent par la force. Nietzsche parle toujours comme si le seul point d’application possible de la puissance était les autres hommes, tandis qu’il est aussi les choses et avant tout nous-mêmes. Nous avons de quoi exercer notre puissance à l’intérieur de nous ; nous avons à lutter contre des penchants qui,