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condamnation de la justice

égoïsmes collectifs, égoïsmes de races, de classes, de partis, de corporations, etc., qui sont des volontés collectives de puissance. « Qu’on médite l’exemple fourni par l’égoïsme anglais dans la guerre sud-africaine. Nous voyons que les égoïsmes de groupes n’ont jamais été plus armés qu’aujourd’hui. En admettant que les consciences individuelles se soient affinées au cours de révolution et soient devenues accessibles à des sentiments plus délicats et plus humains que ceux de l’humanité primitive, la conscience sociale reste aussi égoïste, aussi ambitieuse et cupide, à l’occasion, aussi tyrannique et oppressive que jamais »[1]. Il est possible, répondrons-nous, que les égoïsmes collectifs s’intensifient à notre époque, et encore la chose est contestable. L’ancien égoïsme anglais à l’égard de l’Irlande fut-il moindre que l’égoïsme actuel à l’égard du Transvaal ? Les égoïsmes de classes, de partis, de corporations, n’aboutissent plus aussi souvent que jadis à la lutte armée. Si les États se battent encore entre eux, les provinces ne se battent plus. Il y a donc progrès.

On répliquera que, si la solidarité augmente dans chaque groupe, la rivalité et l’hostilité augmentent pari passu de groupe à groupe. — La rivalité, soit, l’hostilité, pas toujours. Encore la rivalité n’a-t-elle lieu que pour les objets où il y a rencontre de prétentions semblables et non différentes.

Il est fort juste, de dire avec Nietzsche que l’état de rivalité entre les groupes est favorable à la liberté de l’individu : trouvant en face de lui plusieurs groupes en lutte, il peut trouver dans un de ces groupes « un recours contre l’autre ». Les influences de groupe étant souvent oppressives de l’individu, ce dernier a intérêt à voir les groupes en conflit : Il peut ainsi les dominer ou du moins leur échapper. La vieille formule : Divide ut imperes, pourrait être transformée en celle-ci : Divide ut liber sis[2]. Nous accordons donc volontiers que la multiplicité

  1. M. Palante, Précis de sociologie, p. 123.
  2. G. Palante, Précis de sociologie, p. 124.