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morale des maîtres et morale des esclaves


La raison du mariage résidait aussi, ajoute-t-il, dans « la responsabilité des familles, quant au choix des époux ». Aujourd’hui, « avec cette indulgence croissante pour le mariage d’amour, on a éliminé les bases mêmes du mariage, tout ce qui en faisait une institution ». Jamais, au grand jamais, on ne fonde une institution sur une « idiosyncrasie » ; « on ne fonde pas le mariage sur l’amour » ; on le fonde sur « l’instinct de l’espèce », sur « l’instinct de propriété (la femme et les enfants étant des propriétés) » ; on le fonde « sur l’instinct de domination, qui sans cesse s’organise dans la famille en petite souveraineté, qui a besoin des enfants et des héritiers pour maintenir, physiologiquement aussi, la mesure acquise de puissance, d’influence, de richesse, pour préparer de longues tâches, une solidarité d’instinct entre les siècles ». Le mariage, en tant qu’institution, comprend donc l’affirmation de la forme d’organisation la plus grande et la plus durable : « Si la société, prise comme un tout, ne peut porter caution d’elle-même jusque dans les générations les plus éloignées, le mariage est complètement dépourvu de sens. Le mariage moderne a perdu sa signification ; par conséquent, on le supprime[1] . » Ni, en France, de Maistre et de Bonald, ni, en Allemagne, Savigny, Mommsen et Ihering ne se sont montrés plus conservateurs et plus traditionalistes que le révolutionnaire Zarathoustra. Pour ce dernier, les individus et leurs droits n’existent pas, le bonheur des individus est, encore plus que la justice, une quantité négligeable. Que devient le fameux sermon de Zarathoustra sur les trois vertus cardinales du nouvel évangile : « volupté, orgueil et instinct de domination » ? Zarathoustra prétendait avoir brisé toutes les anciennes tables de valeurs, et le voilà qui élève au-dessus des deux époux, dans le mariage, la table hébraïque de Moïse, les douze tables romaines, enfin les tables chrétiennes. Il n’y a pas de juriste plus

  1. Crépuscule des idoles, tr. fr., p. 211, § 39.