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nietzsche et l’immoralisme

besoin de chaleur. On aime aussi le voisin et l’on se frotte contre lui : car on a besoin de chaleur.
    Tomber malade et être défiant est pour eux un péché : on marche avec précautions. Bien fou qui trébuche sur les pierres ou sur les gens.
    Un peu de poison de temps à autre : cela procure de beaux rêves. Et beaucoup de poison pour finir, afin de mourir agréablement.
    On travaille encore, car le travail est une distraction. Mais l’on veille à ce que cette distraction ne devienne pas un effort.
    On ne veut plus ni pauvreté ni richesse : l’une et l’autre donnent trop de souci. Qui voudrait encore commander ? Et qui obéir ? L’un et l’autre donnent trop de souci.
    Pas de berger et un seul troupeau Chacun veut la même chose. Tous sont égaux : qui pense autrement, entre volontairement à l’asile d’aliénés…
    « Nous avons découvert le bonheur, » disent les derniers hommes, et ils clignotent[1].



III



Quoique ayant posé par son immoralisme le principe même de l’anarchisme, Nietzsche a la plus profonde horreur pour les anarchistes égalitaires et humanitaires.

Zarathoustra dit aux révolutionnaires :

    Vous savez hurler, et obscurcir avec des cendres Vous êtes les meilleures gueules, et vous avez suffisamment appris l’art de faire bouillir de la fange…
    Liberté !c’est votre cri préféré ; mais j’ai désappris la foi aux grands événements, dès qu’il y a beaucoup de hurlements et de fumée autour d’eux[2].


Chez tous les misérables, dit Nietzsche, on voit de nos jours s’insinuer et s’amplifier « les hurlements toujours plus furieux, les grincements de dents toujours plus féroces des chiens anarchistes, qui rôdent sur toutes les routes de la civilisation européenne ». En face des démocrates qui crient : « Du pain et du tra-

  1. Traduit par M. Lichtenberger.
  2. Zarathoustra, tr. fr., p. 184.