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Page:Fouillée - Nietzsche et l’immoralisme, 2e éd., 1902.djvu/153

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morale des maîtres et morale des esclaves

vail », les anarchistes ne sont qu’en une contradiction apparente ; apparente aussi est leur contradiction « avec ces idéologues de la Révolution, avec ces niais philosophastres sentimentaux de la fraternité universelle qui s’appellent socialistes et veulent la société libre ». Ils ont beau hurler les uns contre les autres, socialistes et anarchistes sont en plein accord pour haïr toute forme sociale autre que « la domination du troupeau autonome » ; ils prêchent également un collectivisme qui s’impose dès qu’on veut abolir « patrons et ouvriers, maîtres et esclaves ». Ils ont « la même prévention tenace contre tout droit et privilège de l’individu isolé » ; et cela équivaut, pour Nietzsche, à une opposition contre tout droit en général, car, « quand tous les droite seront égaux, tous les droits deviendront inutiles »[1] .

Un des traits communs entre socialistes et anarchistes, selon Nietzsche, c’est « la religion de la pitié pour tout. ce qui sent, vit, souffre, en bas jusqu’à la brute, en haut jusqu’à Dieu… » ; bien plus, c’est « le cri de protestation, l’impatience de compassion, la haine mortelle pour toute souffrance en général, l’incapacité quasi féminine de supporter la vue d’une souffrance et de permettre que l’on souffre ; c’est l’involontaire obscurcissement et l’efféminisation par lesquels l’Europe gît menacée d’un nouveau bouddhisme ; c’est la foi dans une morale de compassion réciproque, comme si c’était là la morale par excellence, la sommité, la cime atteinte par l’homme, l’unique espérance de l’avenir, la consolation du présent, la grande rédemption de la faute du passé ». En un mot, la foi qu’on retrouve chez toutes les sectes, c’est « la foi à la communauté rédemptrice, au troupeau, donc à eux-mêmes »[2] .

  1. Ibid.
  2. Au delà du Bien et du Mal, p. 126.