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iv
nietzsche et l’immoralisme

« immoralisme » et prétend que ce qui règne « sous les noms les plus sacrés », y compris celui de la « vertu », ce sont des « valeurs de déclin et d’anéantissement », des valeurs « nihilistes », une telle doctrine, renouvelant la grande révolte des sophistes et des sceptiques contre la loi au nom de la nature, ne saurait demeurer indifférente au philosophe ; car, au point de vue pratique, elle ne peut manquer de trouver écho dans toutes les passions jusqu’ici tenues pour mauvaises et qui, selon Nietzsche, sont précisément les bonnes : « volupté, instinct de domination, orgueil » ces trois vertus cardinales du nouvel évangile[1].

II


Le succès de Nietzsche, qui a été d’abord pour maint philosophe de profession un vrai scandale, a eu des causes dont les unes sont superficielles, les autres profondes. Les aphorismes conviennent à un public qui n’a ni le temps ni les moyens de rien approfondir et qui s’en fie volontiers aux feuilles sibyllines, surtout si elles sont poétiques au point de lui paraître inspirées. L’absence même de raisonnement et de preuve régulière prête au dogmatisme négateur un air d’autorité qui impose à la foule des demi-instruits, littérateurs, poètes, musiciens, amateurs de tous genres. Des paradoxes en apparence originaux donnent à qui les accepte l’illusion flatteuse de l’originalité. Pourtant, il y a aussi des raisons plus profondes à ce succès d’une doctrine fortement individualiste et aristocratique, qui se présente comme le renversement définitif de

  1. Nous n’avons pas l’intention de faire ici une étude complète de Nietzsche. Ce dernier, d’ailleurs, humoriste et essayiste de premier ordre, touche à tout, parle de tout, prononce sur tout, tantôt blanc, tantôt noir, cachant sous ses airs de scepticisme le plus outré des dogmatismes. Nous voulons seulement juger les pensées maîtresses du système. Nous considérerons donc surtout en lui la morale individualiste poussée à ses extrêmes conséquences, qui se résument dans la suppression même de toute morale, dans « l’immoralisme ».