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iii
avant-propos

celle de la vie intense et extensive. Ces notes indiquent d’ailleurs, de la part de Nietzsche, une réelle sympathie pour Guyau et une très profonde estime, qui va jusqu’à l’admiration[1].

Nietzsche m’offrait encore un autre intérêt. Au moment où je commençai à le lire, j’avais depuis longtemps entrepris, comme complément de la Psychologie du peuple français (et aussi comme délassement d’études plus abstraites) mon esquisse psychologique des peuples européens. Je trouvai dans Nietzsche un homme représentatif, par bien des côtés, de l’Âme allemande et des directions actuelles de la pensée en Allemagne, — outre que Nietzsche lui-même, en des pages remarquées de Taine, a finement esquissé plusieurs physionomies de peuples, y compris son peuple et le nôtre.

Si je ne me trompe, les psychologues et les moralistes doivent s’intéresser à l’œuvre de Nietzsche, non seulement pour sa valeur intrinsèque, mais encore pour l’influence qu’elle exerce par la poésie dont elle est revêtue. Le poète n’a-t-il pas souvent plus d’action que le pur métaphysicien sur le mouvement des idées morales et sociales ? Guyau en fut lui-même une preuve avant Nietzsche, bien que Guyau ait été plus proprement philosophe et théoricien.

En outre, rien n’est plus utile que l’étude des esprits indépendants, dont la hardiesse et la sincérité ne reculent devant aucune barrière. Oportet hæreses esse, cela est encore plus vrai de la philosophie et de la morale que de la religion. Une doctrine qui accuse non pas seulement la théologie, mais la morale, d’être la vraie cause de la corruption ou de la « décadence » humaine, le véritable empêchement au progrès de l’espèce par le moyen des individus supérieurs, une doctrine qui se pose ainsi en

  1. Aux précieux renseignements que M. Lichtenberger a bien voulu nous fournir sur ce qu’il avait vu et lu aux Archives de Weimar, Mme  Förster-Nietzsche a ajouté les siens avec une obligation dont nous lui témoignons ici toute notre gratitude. Elle a même fait copier à notre intention les principales notes marginales de Nietzsche, encore inédites, sur l’Esquisse d’une morale sans obligation ni sanction. Nous n’avons pas eu; à notre grand regret, connaissance des notes relatives à l’Irréligion de l’avenir (ni de celles qui concernent la Science sociale contemporaine).