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Page:Fouillée - Nietzsche et l’immoralisme, 2e éd., 1902.djvu/162

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nietzsche et l’immoralisme

le vrai penseur se reconnaît à ce qu’il est le premier à rire de ses pensées, Zarathoustra répétera que le sage doit, au-dessus de tout ce qu’il dit et fait, élever « le rire, le bon rire ». L’auteur de Caliban et des Dialogues philosophiques, ce merveilleux sceptique mêlé de croyant, ce grand ironiste en philosophie et en religion, qui riait volontiers de ses propres pensées, était un de ces « danseurs » dont Zarathoustra fait l’éloge, habiles à maintenir en équilibre, aux hauteurs les plus vertigineuses, le balancier du pour et du contre. On se rappelle cette étonnante fantaisie où Renan nous montre sa caste de savants maîtresse du globe et se faisant obéir de la masse ignorante sous la menace de faire sauter la terre : obéissance ou mort « Je rêve », écrit Nietzsche, « d’une association d’hommes qui seraient entiers et absolus, qui ne garderaient aucun ménagement et se donneraient à eux-mêmes le nom de destructeurs ; ils soumettraient tout à leur critique et se sacrifieraient à la vérité » ; — à cette vérité qui, selon le même Nietzsche, n’existe pas Le rêve dont Renan voulait amuser ses lecteurs et s’amuser soi-même, le penseur allemand le prend au sérieux. Cette menace hyperbolique de destruction dont le doux Renan armait son aristocratie scientifique, Nietzsche la remplace par une destruction véritable : il veut que ses hommes d’élite, terrifiant à la fois socialistes et anarchistes, les révoltés de toutes sortes, passent sur la terre comme des dévastateurs. Il professe l’amour de la destruction autant qu’un adorateur du vieil Odin. Dans la pièce de vers intitulée Dernière Volonté, il se rappelle un de ses amis qui, combattant avec lui contre la France en 1870, exultait de vaincre même en mourant :

À l’heure de la mort il ordonnait,
Et il ordonna la destruction.

À ce souvenir, Nietzsche fait un retour sur lui-même et nous crie son dernier vœu :