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nietzsche et l’immoralisme

les grands hommes, à leur tour, n’ont de valeur que par les services qu’ils peuvent rendre à l’humanité en l’amenant à un niveau surhumain. Toujours est-il qu’une question se présente : — Comment vous y prendrez-vous pour faire surgir vos grands hommes ? — Nous aurons soin désormais, répond Nietzsche, de ne plus laisser au seul hasard le soin de faire surgir l’individu de génie, le vrai maître, du milieu de la masse des médiocres et des esclaves ; nous nous efforcerons, en pleine connaissance de cause, de faire naître par la sélection, par une éducation appropriée, une race de héros. « Il est possible, affirme Nietzsche, d’obtenir, par d’heureuses inventions, des types de grands hommes tout autres et plus puissants que ceux qui, jusqu’à présent, ont été façonnés par des circonstances fortuites. La culture rationnelle de l’homme supérieur, c’est là une perspective pleine de promesses. » Ainsi serait substituée la sélection artificielle à la sélection naturelle, dont le jeu n’est pas assez sûr. Quant aux moyens de produire artificiellement des hommes dignes du rang de maîtres, Nietzsche les laisse dans l’indétermination, et pour cause. Nous doutons qu’on puisse, par aucun artifice, procréer des héros comme on obtient des races de chevaux supérieurs. Ni la sélection naturelle ni la sélection artificielle ne nous assurent donc que nous aurons les grands hommes destinés à devenir nos despotes. Les eussions-nous, qu’il faudrait toujours des signes pour reconnaître leur supériorité. Si on leur laisse à eux-mêmes le soin de s’imposer, rien ne nous dit que de faux grands hommes ne réussiront pas à être les plus forts ou les plus rusés. N’est-il donc pas plus simple de maintenir les règles de la justice commune et du droit commun, en laissant aux supériorités le pouvoir de naître et de se faire accepter librement ? Telle n’est pas la réponse de Nietzsche ; il veut de vrais « maîtres » et, du même coup, des « esclaves ». La production de toute aristocratie, dit-il, nécessite une armée d’esclaves. « L’es-