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CHAPITRE VI


condamnation de la pitié.



Nietzsche n’est pas moins hostile à la charité et à la pitié qu’à la justice ; il l’est même davantage. Loin d’être la suprême vertu, la charité est à ses yeux l’abomination de la désolation, le « commencement de la fin », le grand agent de dégénérescence vitale et de déclin. « Qu’est-ce qui est plus nuisible que n’importe quel vice ? — La pitié qu’éprouve l’action pour les déclassés et les faibles : le christianisme[1]. — Périssent les faibles et les ratés ! Et qu’on les aide encore à disparaître ! »

Nietzsche confond indûment la charité avec la pitié et avec le sentimentalisme mis à la mode par Tolstoï et Dostoïevsky, par tous les adeptes de la religion de la souffrance humaine. Il y a aujourd’hui presque partout en Europe, dit-il (non sans raison), une sensibilité et une irritabilité maladives pour la douleur, et aussi une intempérance fâcheuse à se plaindre, une « efféminisation qui voudrait se parer de religion et de fatras philosophique pour se donner plus d’éclat. Il y a un véritable culte de la douleur. Le manque de virilité de ce qui, dans ces milieux exaltés, est appelé compassion, saute aux yeux[2]». On peut reconnaître un côté vrai dans

  1. Généalogie de la morale, tr. fr., p. 93.
  2. Par delà le Bien et le Mal, p. 248.