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Page:Fouillée - Nietzsche et l’immoralisme, 2e éd., 1902.djvu/181

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les jugements de nietzsche sur guyau

gie : « L’organisme le plus parfait sera aussi le plus sociable, et l’idéal de la vie individuelle, c’est la vie en commun. » Tel est le vrai sens de la loi posée par Guyau, et qui avait frappé Nietzsche, à savoir que « la plus haute intensité de la vie a pour corrélatif nécessaire sa plus large expansion ». Guyau ajoute : « Vie, c’est fécondité, et réciproquement la fécondité, c’est la vie à pleins bords, c’est la véritable existence. » Il soutient que la vie féconde est la vie généreuse et aimante, non la vie isolée dans un moi altier et impénétrable. « La vie ne peut être complètement égoïste, même quand elle le voudrait. Il y a une certaine générosité inséparable de l’existence, et sans laquelle on meurt, on se dessèche intérieurement. Il faut fleurir ; la moralité, le désintéressement, c’est la fleur de la vie humaine. » Non moins poète que Nietzsche, mais d’une raison plus saine et plus ferme, il nous rappelle, dans une page souvent citée, que l’on représente la charité sous les traits d’une mère qui tend à des enfants son sein gonflé, de lait, et, au lieu de voir là une négation de la vie, il y voit la suprême affirmation de la vie. « C’est qu’en effet la charité ne fait qu’un avec la fécondité débordante ; elle est comme une maternité trop large pour s’arrêter à la famille. Le sein de la mère a besoin de bouches avides qui épuisent ; le cœur de l’être vraiment humain a aussi besoin de se faire doux et secourable pour tous ; il y a chez le bienfaiteur même un appel intérieur vers ceux qui souffrent. » Devant cette page, Nietzsche n’a pas osé mettre de contradictions, mais il n’y pouvait mettre d’approbation : c’eût été condamner son propre système, selon lequel charité ou pitié est le plus grand des vices.

« Nous avons constaté, conclut Guyau, jusque dans la vie de la cellule aveugle, un principe d’expansion qui fait que l’individu ne peut se suffire à lui-même ; la vie la plus riche se trouve être aussi la plus portée à se prodiguer, à se sacrifier dans une certaine mesure, à se partager aux autres. » Par là se trouve « replacée