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Page:Fouillée - Nietzsche et l’immoralisme, 2e éd., 1902.djvu/188

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nietzsche et l’immoralisme

entre le subjectif et le réel ; il travaille par des méthodes scientifiques à produire l’illusion, il se sert de la vérité pour attraper les yeux. Qui nous dit que la moralité n’est pas de la même façon un art (c’est Nietzsche qui souligne) à la fois beau et utile ? Peut-être nous charme-t-elle aussi en nous trompant. Le devoir peut n’être qu’un jeu de couleurs intérieures. » Nietzsche, après avoir marqué tout le passage de deux traits en marge, ajoute : moi.

Ce que Guyau, pour sa part, retiendra de cette tentation de scepticisme, c’est la légitimité du doute, qui lui semble nécessaire même en morale, surtout à l’égard des impératifs. On sait qu’il a soutenu, — comme nous l’avions fait déjà dans la Critique des systèmes de morale contemporains, — l’importance morale du doute : il avait même posé les bases d’une « morale du doute ».— « On a assez longtemps, dit-il page 126, accusé le doute d’immoralité, mais on pourrait soutenir aussi l’immoralité de la foi dogmatique. » Nietzsche souligne, met un trait en marge et ajoute : moi. Et de même, à la page 125, il approuve ces lignes : « La nécessité sociale de la morale et de la foi, ajouteront les sceptiques, peut n’être que provisoire. » — « Gut ! » On sait que Nietzsche considère la morale comme devant cesser un jour d’être nécessaire et Guyau lui-même admettait une sorte d’état amoral et anomique, conçu d’ailleurs tout autrement que l’immoralisme de Nietzsche, comme constituant l’état idéal et peut-être futur de la société humaine.

Nietzsche ne pouvait manquer d’approuver la manière dont Guyau répond aux partisans plus ou moins aveugles de la foi, qui sont si nombreux en philosophie depuis Kant. Guyau écrit, page 128 : « Mais, dira-t-on, s’il est irrationnel d’affirmer dans sa pensée comme vrai ce qui est douteux, il faut bien pourtant l’affirmer parfois dans l’action. — Soit, mais c’est toujours une situation provisoire et une affirmation conditionnelle ; je fais cela, — en supposant que ce soit mon devoir, que